Chapitre 29

— Zaphod ! Réveille-toi !

— Mmmmmmmmwwwwwwrrrrrrumm ?

— Allez, réveille-toi !

— Laisse-moi me cantonner à ce dont je suis capable, vu ? marmonna Zaphod avant de s’enrouler à nouveau vers le sommeil.

— Tu veux que je te botte le train ? dit Ford.

— Est-ce que franchement ça te ferait plaisir ? demanda Zaphod, hagard.

— Non.

— Moi non plus. Alors, à quoi bon ? Cesse de m’emmerder.

Zaphod se roula en boule.

— Il s’est chopé une double ration de gaz », expliqua Trillian en se penchant sur lui. « Avec ses deux trachées…

— Et cessez tous de parler, dit Zaphod, j’ai déjà bien assez de mal à essayer de dormir. Qu’est-ce qui est arrivé au sol ? Il est tout froid et tout dur ?

— C’est de l’or, expliqua Ford.

Exécutant une surprenante figure de ballet, Zaphod se retrouva debout en train de scruter l’horizon, vu que le sol en or s’étendait effectivement jusque-là dans toutes les directions, parfaitement lisse et ferme. Il brillait comme… impossible de dire comme quoi il brillait car rien dans l’Univers ne peut briller tout à fait comme une planète en or massif.

— Qui a mis tout ça ici ? glapit Zaphod, les yeux en boule de loto.

— T’excite pas, dit Ford, ce n’est qu’un catalogue.

— Un quoi ?

— Un catalogue, expliqua Trillian, une illusion.

— Comment pouvez-vous dire ça ? s’exclama Zaphod en tombant à quatre pattes pour contempler le sol.

Il le tapa, le tâta : il était très massif et très légèrement malléable – de l’ongle il pouvait le rayer. C’était un sol très jaune et très brillant et lorsque Zaphod souffla dessus, la buée s’en évapora de la manière bien particulière et significative qu’a la buée de s’évaporer de sur l’or massif.

— Trillian et moi, on est revenus à nous il y a quelque temps déjà, expliqua Ford. On a crié et hurlé jusqu’à ce quelqu’un vienne et puis on a continué de crier et de hurler jusqu’à ce qu’ils en aient marre et nous fourrent dans leur catalogue de planètes, histoire de nous occuper en attendant de savoir que faire de nous. Tout ça, c’est une sensoricassette.

Zaphod la dévisagea avec amertume.

— Et merde, s’exclama-t-il, vous me tirez de mes excellents rêves personnels simplement pour me montrer ceux d’un autre.

Il s’assit avec un soupir. Puis demanda :

— C’est quoi, cette série de vallées, là-bas ?

— C’est le logo du fabricant, dit Ford. On a été voir.

— On ne vous a pas réveillé plus tôt : avec la dernière planète on était dans le poisson jusqu’aux genoux.

— Le poisson ?

— Les gens ont de ces goûts bizarres.

— Et avant ça, reprit Ford, on a eu droit à du platine. Plutôt assommant. On s’est dit que tu aimerais quand même voir celle-ci.

Où qu’ils regardent, ils étaient éblouis par les éclats d’un véritable océan de lumière.

— Très joli, dit Zaphod avec humeur.

Dans le ciel apparut un gigantesque numéro de référence, vert. Il clignota et changea et lorsqu’ils regardèrent à nouveau autour d’eux, le paysage avait fait de même.

Comme un seul homme, ils s’écrièrent : « Ouch ! »

La mer était pourpre. La plage sur laquelle ils se tenaient était formée de minuscules galets verts et jaunes – à n’en pas douter, des pierres terriblement précieuses. Les montagnes dans le lointain semblaient douces et soulignées de pics rouges. À proximité se trouvait une table de jardin en argent massif avec un parasol parme à pompons d’argent.

Dans le ciel, à la place du numéro de catalogue s’inscrivit une annonce gigantesque disant : Quels que soient vos goûts, Magrathea pourra les satisfaire : Rien ne nous fait honte.

Et cinq cents femmes entièrement nues tombèrent alors du ciel en parachute.

En quelques instants, la scène avait disparu, laissant place à une prairie printanière et pleine de vaches.

— Oh ! mes têtes ! gémit Zaphod.

— Tu veux qu’on en parle ? demanda Ford.

— Ouais, d’accord », dit Zaphod, et tous trois s’assirent en ignorant délibérément les scènes qui continuaient de se succéder autour d’eux.

— Voilà ce que je suppose, commença Zaphod. Quoi qu’ait pu subir mon esprit, c’est moi qui l’ai fait. Et je l’ai fait de telle sorte que cela demeure indétectable par les tests du gouvernement. Et que je n’en sache rien moi-même. Plutôt bien joué, non ?

Les deux autres opinèrent du bonnet.

— Alors, je me dis, qu’y a-t-il de si secret que je ne puisse permettre à personne de savoir que je le sais, pas même le gouvernement galactique, pas même moi ? Et la réponse est : je ne sais pas. Évidemment. Mais si je rassemble quelques éléments épars, je peux commencer à deviner : Quand ai-je décidé de me présenter à la présidence ? Peu après la disparition du président Yooden Vranx. Tu te rappelles Yooden, Ford ?

— Ouais, dit Ford, c’était ce type qu’on avait rencontré étant gosse, un capitaine arcturien. Un sacré numéro ! C’est lui qui nous avait offert des marrons le jour où tu t’es pointé sur son mégacargo. Il disait que tu étais le gamin le plus surprenant qu’il ait jamais vu.

— Qu’est-ce que c’est que toute cette histoire ? demanda Trillian.

— De l’histoire ancienne, dit Ford. Du temps où on était gosses sur Bételgeuse. Les mégacargos arcturiens effectuaient la plupart des transports de vrac entre le Centre galactique et les régions périphériques. Les éclaireurs commerciaux de Bételgeuse prospectaient les marchés que les Arcturiens approvisionnaient ensuite. Nombreuses étaient les escarmouches avec les pirates de l’espace avant qu’ils ne soient balayés par les Guerres dormiyères, aussi les mégacargos avaient-ils dû être équipés des plus fantastiques champs de protection que connût la science galactique de l’époque. C’étaient de véritables monstres absolument gigantesques. En orbite autour d’une planète, ces vaisseaux éclipsaient le soleil.

« Un jour, le jeune Zaphod, ici présent, décide d’en prendre un à l’abordage. Avec un vulgaire trijet prévu simplement pour le vol stratosphérique, lui, un simple gosse ! Je lui dis de laisser tomber, c’était complètement loufoque. Je l’ai quand même accompagné vu que j’avais parié un bon paquet sur son échec et que je ne voulais pas qu’il revienne avec des preuves bidon. Et que croyez-vous qu’il arriva ? On embarque sur le trijet qu’il avait trafiqué au point que c’était quelque chose d’entièrement différent, on se tape trois parsecs en l’affaire de quelques semaines, on se pointe dans le mégacargo que je ne sais toujours pas comment, on marche sur la passerelle en brandissant nos revolvers en plastique et on demande des marrons. Jamais vu un truc aussi dingue. Ça m’a coûté un an d’argent de poche. Et tout ça pour quoi ? Des marrons !

— Le capitaine était ce type vraiment incroyable, Yooden Vranx ! enchaîna Zaphod. Il nous offrit à manger, à boire – de la gnôle en provenance des coins les plus bizarres de la Galaxie – on a eu des tas de marrons, bien sûr, enfin, on a fait une bringue pas possible ! Et puis il nous a réexpédiés par téléportation. Directement dans le quartier de haute sécurité de la prison d’État de Bételgeuse. Un type extra. Il a fini par devenir Président de la Galaxie.

Zaphod fit une pause. La scène autour d’eux était à présent plongée dans la pénombre. Des brumes ténébreuses s’enroulaient autour d’eux tandis que d’indistinctes silhouettes éléphantesques rôdaient dans l’ombre.

L’air était par moments déchiré par les cris de créatures illusoires dévorant d’autres illusoires créatures.

Il fallait donc bien supposer qu’un nombre suffisant de clients appréciaient ce genre de choses pour qu’on pût en faire une proposition commerciale.

— Ford, dit calmement Zaphod.

— Mouais ?

— Juste avant sa mort, Yooden est venu me voir.

— Quoi ? Tu ne m’en as jamais parlé.

— Non.

— Que t’a-t-il dit ? Pourquoi était-il venu te voir ?

— Il m’a parlé du Cœur-en-Or. C’était son idée que je le dérobe.

Son idée ?

— Ouais, dit Zaphod, et le seul moyen possible de le faire, c’était lors de la cérémonie de lancement.

Ford le considéra, bouche bée, quelques instants, puis il éclata d’un rire rugissant :

— Es-tu en train de me dire que tu t’es arrangé pour devenir Président de la Galaxie rien que pour dérober ce vaisseau ?

— C’est cela même, dit Zaphod avec ce genre de sourire qui conduit en général à boucler les gens entre quatre murs capitonnés.

— Mais pourquoi ? insista Ford. Qu’y a-t-il de si important à l’avoir ?

— Chsais pas, avoua Zaphod. Je pense que si j’avais su consciemment ce qu’il avait de si important, et par quel moyen l’obtenir, ce serait apparu lors de mes tests et jamais je ne les aurais réussis. Je pense que Yooden m’a encore dit un tas de choses qui restent toujours bloquées.

— Alors, tu crois que tu es allé trifouiller à l’intérieur de ton cerveau à la suite de ce que t’a raconté Yooden ?

— C’était un sacré beau parleur.

— D’accord, mais, Zaphod, vieille branche, tu as quand même envie de prendre soin de toi, n’est-ce pas ?

Zaphod haussa les épaules.

— Je veux dire, tu n’aurais pas le moindre soupçon des raisons ayant conduit à tout ça ? demanda Ford.

Zaphod réfléchit intensément et le doute sembla traverser son esprit.

— Non, dit-il enfin, je n’ai pas l’impression d’être dans mes propres secrets. Pourtant », ajouta-t-il après réflexion, « ça, je peux encore le comprendre : je ne me fierais pas plus à moi-même qu’au premier rat venu.

Un moment après, la dernière planète du catalogue disparut de dessous leurs pieds et le monde réel réapparut :

Ils étaient assis dans une salle d’attente cossue, emplie de tables basses à plateau de verre et garnie de trophées d’esthétique industrielle.

Un Magrathéen de haute stature se tenait devant eux.

— Les souris vont vous recevoir, leur dit-il.

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