Chapitre 8

Le Guide du routard galactique est un ouvrage en tout point remarquable. Il a fait l’objet de bien des remaniements et mises à jour depuis bien des années et sous la responsabilité de nombreux rédacteurs en chef. Il recueille les contributions d’innombrables voyageurs et chercheurs.

Son introduction commence ainsi :

« L’espace, nous dit-il, est immense. Vraiment immense. On n’a franchement pas idée de sa stupéfiante et considérablement gigantesque immensité. Je veux dire qu’on peut croire qu’en gros ça fait loin comme d’ici au bistrot du coin mais en fait c’est de la gnognote comparé aux dimensions de l’espace. Tenez… » et ainsi de suite.

(Après un moment, le style s’améliore quelque peu et Le Guide commence à vous dire des choses que vous avez réellement besoin de savoir telles que le fait que Bethselamine, cette planète fabuleusement belle, est aujourd’hui tellement préoccupée par l’effet cumulatif de l’érosion provoquée par la visite annuelle de dix milliards de touristes que tout déficit net entre les quantités ingérées et celles excrétées durant votre séjour y sera récupéré par ablation chirurgicale au moment de votre départ : aussi, chaque fois que l’on se rend aux toilettes, est-il d’une importance vitale de se faire délivrer un reçu.)

Pour être juste, face à l’absolu gigantisme des distances interstellaires, les meilleurs esprits n’ont pas été plus inspirés que l’auteur de cette introduction au Guide : ainsi, d’aucuns vous invitent à considérer un instant une cacahuète posée à Reading par rapport à une noix de cajou située elle à Johannesburg. Ou autres vertigineuses comparaisons.

La simple vérité est que l’imagination humaine est totalement incapable d’appréhender les distances interstellaires.

Même la lumière – qui voyage si vite qu’il faut à la plupart des races intelligentes plusieurs millénaires rien que pour réaliser simplement qu’elle se déplace – eh bien, même la lumière met du temps pour se déplacer entre les étoiles : il lui faut huit minutes pour se rendre de l’étoile Sol à l’endroit où la Terre avait coutume de se trouver et quatre ans de plus pour gagner son plus proche voisin stellaire, à savoir Alpha de Proxima.

Et pour qu’elle atteigne l’autre côté de la Galaxie – Damogran par exemple – cela prend encore plus longtemps : cinq cent mille ans.

Le record sur cette distance en astro-stop est d’un peu moins de cinq ans mais autant dire qu’on ne risque guère alors de contempler le paysage.

Le Guide du routard galactique précise qu’à condition de retenir sa respiration, il est possible de survivre une trentaine de secondes dans le vide absolu de l’espace. Toutefois, compte tenu des dimensions proprement ahurissantes de celui-ci, cela revient à évaluer les chances d’être recueilli par un autre vaisseau durant ce court laps de temps à deux puissance deux cent soixante-sept mille sept cent neuf contre un.

Par une coïncidence proprement ahurissante, ce chiffre est également le numéro de téléphone d’un appartement d’Islington où Arthur, invité à une soirée, avait pu faire la connaissance d’une fort charmante jeune fille qu’il avait été totalement infoutu de raccompagner : elle s’était fait emballer par un vulgaire pique-assiette.

Bien que la planète Terre, l’appartement d’Islington et le téléphone soient aujourd’hui démolis, il est réconfortant de se dire que tous ces éléments ont en quelque modeste manière été commémorés par le fait que vingt-neuf secondes plus tard exactement Arthur et Ford devaient être sauvés.

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