Francis Carsac Sur un monde stérile

À propos de Sur un monde stérile

Si François Bordes est né en Décembre 1919, Francis Carsac est né au cours de l’hiver 1943–44.

Ce n’est qu’après beaucoup d’hésitations qu’il a été décidé en définitive de laisser publier le texte de son premier roman. D’abord, parce qu’il ne l’aurait pas voulu. Et ensuite, parce que le début du roman n’est pas du Francis Carsac, mais du François Bordes jeune. Mais, paradoxalement, c’est aussi pour cette raison que la décision de publication a été prise. À mesure que le roman s’écrit, François Bordes s’efface et laisse la place à Francis Carsac.

Ce roman a donc un intérêt au moins « historique » en ce sens. Mais il a un deuxième intérêt historique – sans préjuger de l’intérêt propre que les lecteurs pourront lui trouver – qui tient aux circonstances dans lesquelles il a été écrit, donc les circonstances de la « naissance » de Francis Carsac.

En 1937, à son retour d’Indochine, François Bordes s’inscrit à la Faculté des Sciences de Bordeaux, pour suivre des études de Sciences naturelles. Il n’a pas alors de projet précis : la géologie et la paléontologie l’intéressent, mais il est aussi fortement attiré par la biologie animale. Jusqu’à la déclaration de guerre, en 1939, il mène une « vie d’étudiant ».

Il y a d’abord ses études, qu’il réussit sans jamais « bachoter », mais aussi de nombreuses activités.

La préhistoire : il continue ses fouilles dans la vallée de Gavaudun, et expérimente la taille du silex.

Il lit beaucoup, et de tout (il m’a dit une fois qu’il avait entrecoupé sa lecture du Léviathan de Hume de celle des Pieds Nickelés…). Il lit les romanciers scandinaves (Sigrid Undset, Selma Lagerlof, Silanpaa…) et est fasciné par ces pays nordiques. Il achète aussi chaque semaine Robinson, hebdomadaire de bandes dessinées où sont publiés Guy l’Éclair (Flash Gordon), Luc Bradefer (Brick Bradford), bandes de SF, mais aussi Mandrake, Popeye et La Famille Illico (Bringing up Daddy) ; et où paraissent en feuilleton, entr’autre, les deux premières aventures « martiennes » d’Edgar Rice Burrough. Enfin, en 1939, il avait lu pratiquement tout ce qui avait été publié en français de « science-fiction » ou apparenté, du meilleur jusqu’au pire.

Politiquement, il est « de gauche » et appartient à l’Union Fédérale des Étudiants (UFE) dont il est le trésorier. L’UFE regroupe des étudiants de gauche de diverses tendances, des anarchistes jusqu’aux socialistes. Lui-même ne se situe exactement dans aucune de ces tendances, mais se définit alors comme « anarcho-syndicaliste ». Pour recruter, l’UFE organise des cours particuliers gratuits, faits par des étudiants, de mathématiques, de langues, etc, pour les lycéens. Durant l’année 1937-38, une lycéenne, Denise de Sonneville, fille du peintre bordelais Georges de Sonneville, qui est en classe de philosophie vient à la permanence de l’UFE pour s’inscrire à l’un de ces cours. François Bordes est de permanence, et ils se marieront en 1943.

En dehors de l’Université, et de Bordeaux, François Bordes est alors aussi un « Ajiste » actif. Bien qu’elles existent encore, il est difficile d’expliquer maintenant ce que fut en ce temps le mouvement des « Auberges de Jeunesse » (AJ, d’où « ajiste »). Le mouvement AJ, en plus du fait de fournir aux adhérents, jeunes de 15 à 25 ans en général, le gîte et le couvert à des prix très faibles, véhiculait une idéologie unitaire. Qu’il soit étudiant, ouvrier, employé ou autre, un « jeune » qui arrivait dans une AJ était d’abord un « Ajiste ». Sac à dos, grosses chaussures de marche ou vélos, tentes ou auberges de jeunesse… On pourrait penser au scoutisme, mais le mouvement « Ajiste » était très différent. D’abord, c’était un mouvement en un sens « individualiste » : pas de « patrouilles des Castors », de CP, etc. Mais c’était aussi le contraire d’un quelconque « laisser faire » : un « ajiste » dans une AJ était responsable, devait participer aux corvées (balayer, faire la vaisselle, aller chercher le bois ou l’eau…). Si ça ne lui plaisait pas, il lui suffisait de partir. D’autre part, dans une AJ, chacun devait respecter l’autre. Et ce « respect de l’autre », aussi différent soit-il (sauf s’il est fondamentalement « mauvais ») a été pour François Bordes (et donc pour Francis Carsac…) une valeur fondamentale. Les camaraderies, voire les amitiés, qui se créent autour d’un feu, par le partage d’une corvée, de quelques cigarettes à moitié écrasées et mouillées, ou d’une boite de sardine, aussi… Il rompra avec les AJ en 1941, quand le mouvement sera récupéré par le gouvernement de Vichy. Mais le début de « Sur un monde stérile » est imprégné d’esprit « ajiste ».

Il y avait enfin l’athlétisme, car François Bordes était un athlète que l’on qualifierait aujourd’hui peut-être « de haut niveau ». Spécialiste des « lancers », il fut en 1937 champion régional junior du Périgord-Agenais, sous les couleurs du club de Villeneuve, au poids, au javelot, et au disque. Sa spécialité était le lancer du disque, et en 1938, sous les couleurs du SBUC (Stade Bordelais Université Club) il détenait la cinquième performance junior nationale{Source : mon père lui-même, et le bimensuel L’Athlétisme. Organe Officiel de la Fédération Française d’Athlétisme, nouvelle série, n° 143, du Jeudi 6 Octobre 1938.}. En 1939, il était un des « possibles » pour représenter la France dans cette discipline aux Jeux Olympique d’Helsinki en 1940… qui, du fait de la guerre, n’eurent pas lieu.

Et il écrivit aussi son premier récit, plus « conte philosophique » que « science-fiction »…


L’homme qui voulut être Dieu

Très loin, très loin dans les ténèbres du temps, par-delà la mémoire des hommes il existait dans l’Océan une île magnifique. Le ciel y était toujours bleu et le soleil brillait sur les forêts nombreuses, sur les lacs et les rivières, et sur les champs et les villes des hommes. Ces villes dressaient vers l’azur de hauts monuments et des temples aux toits couverts d’or. La race était belle, ils étaient sages et savants en magie. Au-dessus d’eux régnaient des dieux bons et doux.

Dans le temple principal de la capitale existait une école des Sages, qui enseignait les sciences aux jeunes gens les plus doués. Parmi eux, Hor-Atla se signalait. C’était un mince adolescent à l’esprit étincelant. Mais sa bouche était dure et amère, et son cœur rongé par le doute et l’ambition.

C’était un beau soir calme. Le soleil venait de disparaître à l’horizon occidental, et les étoiles scintillaient au-dessus des pylônes de la ville. Une lumière douce tombait des fenêtres, et l’air était tendre comme un chant d’amour. Il vibrait des rires légers des jeunes filles. Les hommes, après la journée de labeur, jouissaient en paix de la joie de vivre. Au sommet de la Grande Pyramide, des carrés lumineux indiquaient la chambre où veillait le Conseil des Sages. Et Hor-Atla errait parmi les orangers, rêvant devant l’infini du ciel.

« Qui suis-je ? Que suis-je ? Quelle est ma valeur ? Que m’importent les joies habituelles ? Je suis beau, je suis le meilleur au stade, et l’élève préféré des Sages. D’où vient que tout cela ne me contente pas ? Mon cœur a soif d’absolu, mon esprit a soif d’absolu ? D’où vient cette soif ? Que serai-je ? Roi, Prince des Sages ? Et après ? La mort ? Ô nuit, à quoi bon être un homme, puisqu’il existe des dieux ! »

Les années passèrent. Hor-Atla gravissait les échelons des initiés. Il avait depuis longtemps méprisé les jeux du stade et les sourires des filles. Il passait ses journées dans les montagnes proches, à méditer, et ses nuits à étudier les textes sacrés. Il était seul au monde. Et, petit à petit, grandissaient sa science et son pouvoir magique. Les années coulaient toujours, au rythme régulier de la Terre. Hor-Atla était maintenant presqu’un vieillard. Son savoir était devenu immense. Il le tenait secret, et travaillait toujours dans une chambre hermétiquement close. Le peuple racontait que la nuit il parlait aux étoiles. Les enfants le fuyaient, effrayés, et il n’adressait la parole aux hommes que quand ceux-ci le consultaient. Ses avis étaient toujours bons, et pourtant nul ne l’approchait sans trembler. Ses yeux étaient fixes et lointains, comme éblouis par la splendeur de son rêve intérieur, et cependant semblaient percer à jour le cœur des hommes. Ses collègues du Conseil redoutaient sa parole, âpre et pleine d’une sagesse amère et pessimiste. Et en lui-même son cœur était morne et désespéré, car il n’avait joui d’aucune des joies de la vie.

Une nuit, il trouva ce qu’il avait tant cherché : la formule magique pour monter aux séjours des dieux. Il parvint ainsi, au-delà de l’espace, dans une grande salle où les dieux étaient assemblés. Ils dormaient, fatigués de leur éternité. Des mains de Haknu, le dieu suprême, s’était échappé de Livre de l’Être, contenant les formules magiques qui ont tirés les choses du Chaos originel. Hor-Atla s’avança sans bruit, consulta le livre, et renvoya les dieux dans le néant. Une joie immense l’envahit. Son rêve était réalisé ! À lui l’immortalité, la toute puissance et l’omniscience ! Il lut avidement tous les livres et apprit ainsi tous les secrets de l’Univers. Il était dieu !

Alors, il commença à s’ennuyer…


* * *

Et vint la Seconde Guerre mondiale. Ayant 20 ans en Décembre 1939, François Bordes ne fut mobilisé qu’en Avril 1940, après avoir passé ses examens au cours d’une session spéciale organisée par la Faculté des Sciences de Bordeaux. En tant que « scientifique », il fut incorporé comme élève officier de réserve dans l’artillerie à Chatellerault.

Mais le 10 Mai l’offensive allemande se déclenche et dans la deuxième quinzaine de Mai le front franco-anglais est enfoncé. L’avance ennemie s’accélère et le 12 Juin, alors que les Panzers ne sont plus qu’à quelques kilomètres de Paris, un ordre de retraite générale est donné. Le peloton d’EOR est dissous et ses membres, n’ayant pas achevé leur formation d’officier, sont nommés caporaux. Une escouade est confiée au caporal Bordes, avec pour mission de rejoindre Montauban par la route.

Cette descente vers le sud durera plus de 10 jours. Ils ne disposent pas de véhicule. La route est encombrée du flot de réfugiés du nord, de groupes de soldats en retraite dont beaucoup abandonnaient leurs armes et munitions sur le bas-côté. Quand il arrivera avec son escouade à destination, il sera félicité pour avoir ramené les hommes avec leurs armes. Ce que l’Armée n’a pas su, c’est que ce n’étaient pas les mêmes qu’au départ : ils étaient partis armés de « canes-à-pêche », le vieux fusil Lebel, lourd et encombrant. Sur le chemin, ils les avaient remplacé par des (alors modernes) MAS36 et leurs munitions, bien plus légers, ramassés dans les fossés.

Le caporal Bordes avait alors 20 ans et était idéaliste. Cette retraite lui a fait voir quelques aspects de l’humanité qu’il ne soupçonnait pas. Certains des habitants des lieux traversés aidaient les réfugiés. D’autres… Comme il en a peu parlé après que j’ai eu « l’âge de raison », je n’ai que des souvenirs diffus. D’autant plus que je ne comprenais pas vraiment ces conversations de « grandes personnes » où le terme « salauds » revenait souvent. La seule chose dont je me souviens qu’il ait raconté concernait un fermier qui vendait très cher l’eau de son puits aux réfugiés qui passaient sur la route et qui en avait refusé à une femme et des enfants qui ne pouvaient pas payer le prix exorbitant qu’il demandait. L’escouade de mon père faisait alors route avec un groupe de tirailleurs sénégalais. Le sergent qui commandait les « sénégalais » a eu tout le mal du monde à empêcher ses hommes de fusiller cet homme qui refusait de l’eau à des enfants qui avaient soif.

L’été 1940 fut calme. Fin Juin, François Bordes fut incorporé dans un régiment ALVF (artillerie lourde sur voies ferrées) dont la particularité était de ne disposer d’aucune pièce d’artillerie… Cet été-là, la principale activité des hommes du régiment était (sur ordre) d’apporter leur aide aux agriculteurs de la région pour la cueillette des fruits, « corvée » dont ils ont gardé un bon souvenir.

À l’automne 1940, il fut « à moitié démobilisé » en ce sens que s’il quitta l’artillerie, il fut versé dans les « Chantiers de jeunesse ». Pendant six mois, non loin de Gap dans les Alpes, il fit de l’exploitation forestière : les mines de charbon du nord de la France étant en zone occupée, il fallait fournir du combustible.

À la fin du printemps 1941, il fut « totalement démobilisé » et revint dans le Sud-Ouest avec l’intention de poursuivre ses études. Bordeaux se situant en Zone Occupée, il s’inscrivit à la Faculté des Sciences de Toulouse, avec l’idée de devenir biologiste. Mais accueilli dans le laboratoire du Professeur V{Qui a servi de modèle au biologiste Vandal dans Les Robinsons du Cosmos…}, un violent différent l’opposa bientôt au chef de travaux (on dirait maintenant : « Maître de conférence ») qui était un tenant des théories de Lyssenko. Le chef de travaux étant chef de travaux et François Bordes seulement un étudiant avancé{François Bordes voulais travailler à partir de l'hypothèse que dans la reproduction chez les vertébrés, l'ovule, cellule complète (à ceci près que son noyau ne contient que « n » chromosomes, et non 2 « n ») transmettait plus d’information génétique aux descendants que le spermatozoïde, hypothèse qu'il voulait tester expérimentalement.}, François Bordes quitta le laboratoire et se tourna résolument vers la géologie.

Il fut donc étudiant à Toulouse de l’automne 1941 au printemps 1943. Et il fut aussi autre chose, car il entra dans la « Résistance ». Ces deux années toulousaine constituent la période la plus mystérieuse de la vie de mon père. « Car il faut le souligner… il est pratiquement impossible pour un quelconque narrateur d’évoquer avec précision l’ensemble des entreprises alors déployées par un agent de la résistance. Pour la seule raison que les contraintes de l’époque ne permettent pas de les connaître ; que ces hommes… étaient tenu à un secret absolu, vis-à-vis de tous, y compris… des êtres qui leur étaient les plus proches. Pas d’écrits, pas de traces… »{André Roulland et Michel Soulhié : Résistance en Périgord Noir, éd. Amicale des résistants en sarladais, Gourdon, 1987.}

Ce que je sais réellement tient à peu choses. Une conversation qu’il a eu et que j’ai entendue, quand j’avais 7 ou 8 ans, avec « un ami » (qui était-ce ? je ne le sais plus, si je l’ai su un jour) où ils évoquaient un voyage qu’avait fait mon père de Toulouse à Lyon aller-retour pour ramener un « courrier », vers 1942. Une conversation de mon père avec Jacques Bergier à la librairie « La Balance » (devenue plus tard « L’Atome », et alors à Paris la Mecque de la science-fiction), vers 1954. D’autres, sans doute, dont je ne me souviens que très très vaguement. Quand j’avais une douzaine d’années, je m’essayais à créer un « code secret » pour une de ces « sociétés secrètes » de collégiens d’alors. Mon père m’expliqua pourquoi mon « code » était très facilement décryptable, et me le prouva en décodant un message que j’avais écrit. Mais il me montra comment on peut réellement coder des messages, suivant un système dont je su plus tard que c’était celui utilisé par les agents en France pour transmettre des informations à Londres.

Bien plus tard, je lui ai demandé ce qu’il avait vraiment fait pendant cette période. Sa réponse a été qu’il avait été essentiellement un fusible d’un réseau de renseignement transmettant des informations à Londres. « Je recevais des ordres de je ne sais pas qui, mais authentifiés, qui me parvenaient par des moyens divers, ordres qui en général consistaient à aller à un rendez-vous avec un inconnu pour qu’il me transmette un courrier dont je ne connaissais pas le contenu, courrier que je devais transmettre ultérieurement à un autre inconnu… » Ce fut en substance sa réponse. C’était le principe du cloisonnement : s’il avait été arrêté, il n’aurait pas pu, même sous la torture, dire d’où venaient les messages et où ils allaient, parce qu’il ne le savait pas.

Vers Juin 1943, il quitte Toulouse, et se marie avec Denise de Sonneville en Août 1943. Après son mariage, il revient à Villeneuve. Mais en Septembre 1943 sa femme doit revenir à Paris : elle est en effet élève de l’École Normale Supérieure, et donc, élève-fonctionnaire, astreinte à y résider. Et en Novembre François Bordes va « se planquer » dans le belvessois, en Dordogne, en devenant mineur de fond à la mine de lignite de Merle.

Pourquoi a-t-il abandonné momentanément ses études et quitté Toulouse pour devenir mineur ? L’explication donnée par lui-même à sa famille, et que j’ai crue jusqu’à récemment, était que c’était pour échapper au STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne), les mineurs étant exemptés. Mais en fait, le STO ne concernait que les jeunes gens nés en 1920 et après. Or il était né en 1919. Le plus vraisemblable est donc qu’en fait il ait été « grillé » à Toulouse, ou en passe de l’être, et qu’il se soit mis « au vert » à Belvès.

Quoi qu’il en soit, il intègre alors un groupe de résistance relevant de l’Armée Secrète (AS) et son travail à la mine, quoique réel, est essentiellement une couverture. Bien que la famille de sa mère soit originaire des environs, pour se loger il loue une chambre chez un particulier, comme beaucoup d’autres mineurs. Et c’est pendant cette période, de Novembre 1943 à Mai 1944 qu’il a écrit les deux premiers tiers de « Sur un monde stérile », et qu’est né Francis Carsac.

Il écrivait pendant son temps libre. Il était seul, sa jeune femme étant à Paris, et, les livres étant difficiles à trouver, il écrivait un livre. Il apprenait aussi à utiliser la mitraillette « Sten », le fusil-mitrailleur anglais « Bren », la mitrailleuse américaine « .50 », comment faire sauter un pont ou une voie ferrée, et tout ce genre de choses. Il y a beaucoup d’armes dans « Sur un monde stérile » et dans « Les Robinsons du Cosmos », mais à l’époque, tout simplement, Bordes-Carsac vivait avec. Il y avait aussi l’angoisse et la peur. Quand il écrivait sur ses cahiers dans sa chambre de Belvès, si une voiture ou un camion passait dans la rue, ou pire s’y arrêtait, ce pouvait être la Milice ou les Allemands venu le chercher à la suite d’une dénonciation…

Francis Carsac (car c’est de lui qu’il s’agit maintenant) interrompt l’écriture de son roman le 2 Juin 1944, et ne la reprendra que le 11 Décembre suivant. Entre temps, il s’est passé beaucoup de choses.

Dès fin Mai 1944, les résistants de Dordogne savaient par les « messages personnels » de la radio de Londres que le débarquement allié était imminent. En plus du message général à la résistance française : « Les sanglots longs des violons de l’automne… », d’autres leur avaient été particulièrement destinés pour qu’ils se tiennent prêts à agir : « Le chat-huant est dans le grand chêne », « Denise a les yeux bleus », « Les toits de la Sorbonne sont rouges »… Et le 6 Juin, après réception du message : « … blessent mon cœur d’une langueur monotone » annonçant le débarquement, le groupe de résistant auquel appartenait Bordes-Carsac était officiellement constitué en « Groupe Marsouin » sous les ordres d’un officier d’active, le commandant Fourteau.

Il n’est évidemment pas possible ici de raconter l’histoire complète de ce Groupe, d’abord parce que je ne la connais pas. De Juin à Août, il y eu des opérations de combat, coups de main, sabotage. À la mi-Août, les membres du groupe signèrent un engagement dans l’armée « jusqu’à la libération totale de la Patrie ». Le « Groupe Marsouin » participa à la libération de Bergerac, puis fusionna avec d’autres unités pour devenir le « Groupement Marsouin ».

En Septembre, le « Groupement Marsouin » fut envoyé sur le « front du Médoc ». En effet, des troupes allemandes tenaient encore l’embouchure de la Gironde, à Royan au nord et à la Pointe de Grave au sud. Des combats violents eurent lieu. Le 1er Novembre 1944, le « Groupement Marsouin » devint le 3ème Régiment d’infanterie Coloniale. Le 3 Novembre, une patrouille entre les lignes de combat menée par le caporal Bordes rencontra une patrouille ennemie. Échange de coups de feu, jets de grenades. Une grenade allemande explosa à deux mètres du caporal Bordes qui, criblé d’éclats, fut ramené par ses hommes. Évacué sur l’hôpital militaire de Bordeaux, il fut opéré et on retira de son corps 52 éclats de grenade. Après un mois d’hospitalisation, le caporal Bordes sortit en permission de convalescence, et, redevenant Francis Carsac (bien que ne la sachant pas alors), continua l’écriture de « Sur un monde stérile ».

Sur un monde stérile est le premier roman de Francis Carsac, et il a été écrit dans des circonstances que l’on peut qualifier de « particulières ». Son décryptage est facile : les martiens noirs représentent les nazis, et les martiens rouges les soviétiques… Mais, bien que ne soit sans doute pas à moi de le dire, si jusqu’au Chapitre 7 on peut se poser des questions, à partir du Chapitre 8, c’est du Francis Carsac…

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