Ces tableaux de la vie de l’Institut de recherche scientifique sur la magie et l’occultisme, ne sont pas, à mon avis, réalistes au sens strict du mot. Cependant ils possèdent des qualités qui les distinguent avantageusement des œuvres analogues dues à G. Pronitsatelny et B. Pitomnik, et qui permettent de les recommander à l’attention du grand public.
Il convient avant tout de signaler que les auteurs ont su faire la part des éléments progressistes et des éléments conservateurs au sein de l’institut. Le livre ne provoque pas cette irritation qu’on éprouve à la lecture d’articles enthousiastes sur les expériences bidons de Vybegallo et les prévisions irresponsables des chercheurs du service du Savoir Absolu. Ensuite, il est agréable de constater que les auteurs considèrent les mages comme des hommes normaux. Un mage, pour eux, n’est pas un individu qui inspire une admiration craintive, mais il n’est pas non plus un personnage ridicule, un être éthéré qui perd constamment ses lunettes, est incapable de casser la figure à un voyou et lit à sa bien-aimée des passages choisis du Cours de calcul différentiel et intégral. Tout cela signifie que les auteurs ont choisi le ton juste. On peut aussi mettre à l’actif du récit ce fait que les auteurs ont décrit la vie de l’institut à travers les réactions d’un nouveau venu et que les rapports complexes qui existent entre lois administratives et lois magiques ne leur ont pas échappé. En ce qui concerne les défauts du livre, disons que la plupart d’entre eux sont dus au fait que les auteurs, étant des écrivains de métier, préfèrent constamment la « vérité artistique » à la vérité des faits et, comme beaucoup d’hommes de lettres, donnent trop d’importance aux émotions et font preuve d’une ignorance affligeante dans le domaine de la magie moderne. Sans m’opposer le moins du monde à la parution de ce livre, je ne juge pas moins nécessaire de relever certaines erreurs.
1. Le titre de l’ouvrage, me semble-t-il, ne correspond pas tout à fait au contenu. En utilisant cette expression, effectivement très répandue chez nous, les auteurs ont sans doute voulu dire que les mages travaillent sans arrêt même quand ils se reposent. C’est en effet ce qui se passe ou presque, mais dans le livre cela n’apparaît pas. Les auteurs se sont trop attachés au côté pittoresque de notre institut et n’ont pas résisté à la tentation d’accumuler les scènes attrayantes et les épisodes spectaculaires. Les aventures de l’esprit qui constituent l’essentiel de la vie d’un mage sont presque inexistantes dans le récit. Je ne tiens pas compte, bien sûr, du dernier chapitre de la troisième partie, où les auteurs ont voulu montrer le travail de la pensée mais l’ont fait en partant d’une matière ingrate, un problème de logique bon pour des amateurs. ( J’ai exposé aux auteurs mon point de vue sur cette question mais ils ont haussé les épaules en me disant d’un ton légèrement vexé que je prenais trop au sérieux ce genre de littérature. )
2. L’ignorance déjà mentionnée des problèmes de la magie en tant que science joue de mauvais tours aux auteurs tout au long du livre. Ainsi, par exemple, en exposant le sujet de la thèse de Magnus Fédorovitch Redkine, ils ont commis quatorze ( ! ) erreurs. Le terme imposant d’ « hyperchamp », qui leur a beaucoup plu de toute évidence, est constamment utilisé hors de propos. Ils ignorent apparemment qu’un divan-translator n’émet pas un M-champ mais un mu-champ, que le mot d’eau-de-vie n’est plus en usage depuis deux siècles, qu’il n’existe pas d’appareil mystérieux connu sous le nom d’« aquavitomètre » non plus que d’ordinateur Aldan ; que le responsable d’un laboratoire de calcul ne vérifie que très rarement les programmes, qu’il y a pour cela des programmeurs qui sont au nombre de deux et que les auteurs s’obstinent à faire passer pour des jeunes filles. La description des exercices de matérialisation dans le premier chapitre de la deuxième partie est très mauvaise ; « vecteur-magistatum » et « incantation d’Auers » sont des termes barbares ; l’équation de Stocks n’a rien à voir avec la matérialisation, et Saturne, au moment donné, ne pouvait pas se trouver dans la constellation de la Balance ( ce dernier lapsus est d’autant plus impardonnable qu’à ma connaissance l’un des auteurs est astronome. ) Je n’aurais pas de difficultés à allonger la liste des erreurs et des absurdités de ce genre, mais je m’abstiendrai, car les auteurs ont catégoriquement refusé de modifier quoi que ce soit. Ils ont également refusé d’éliminer les mots qu’ils ne comprenaient pas, l’un m’a déclaré qu’une terminologie scientifique est indispensable pour créer l’atmosphère et l’autre qu’elle rend la couleur locale. D’ailleurs, j’ai bien été obligé de tomber d’accord avec eux quand ils m’ont affirmé que la majorité des lecteurs ne sont pas capables de distinguer une terminologie exacte d’une terminologie fantaisiste et que, quelle que soit la terminologie en présence, aucun lecteur sérieux n’y croirait.
3. La recherche mentionnée plus haut de « vérité artistique » ( selon l’expression d’un des auteurs ) et de « typisation » ( selon l’autre ) a conduit à une déformation notable des caractères des personnages réels qui participent à l’action. Les écrivains en général ont tendance à niveler les personnages, aussi les seuls caractères plus ou moins vrais sont-ils ceux de Vybegallo et de Cristobal Junta ( je ne parle pas du personnage épisodique d’Alfred le vampire qui est le plus réussi. ) Par exemple, les auteurs affirment que Kornéev est grossier et s’imaginent que le lecteur peut se faire une idée exacte de sa grossièreté. Oui, Kornéev est effectivement grossier. Pour cette raison précisément, le Kornéev décrit donne l’impression d’un « inventeur translucide » ( pour employer une expression des auteurs ) en comparaison du véritable Kornéev. Même remarque pour la fameuse politesse d’Ampérian. Oïra-Oïra apparaît complètement désincarné dans le récit, or à la période donnée, il divorçait de sa deuxième femme et avait l’intention de se remarier. J’ai cité assez d’exemples pour que le lecteur n’accorde pas trop de foi à mon propre personnage.
Les auteurs m’ont demandé d’expliquer quelques termes incompréhensibles et certains noms peu familiers. Pour satisfaire cette demande j’ai rencontré un certain nombre de difficultés. Naturellement, je n’ai pas l’intention d’expliquer les mots inventés par les auteurs ( « aquavitomètre », « transmission temporelle », etc. ). Je ne pense pas non plus que l’explication de mots réellement existants, quand elle exige des connaissances très spéciales, soit utile. Il est impossible, par exemple, d’expliquer le terme d’« hyperchamp » à quelqu’un qui connaît mal la théorie du vide physique. La signification du mot « transgression » est très large, de plus, les acceptions du mot varient selon les écoles. Bref, je me suis borné à commenter quelques noms propres, certaines notions suffisamment répandues et spécifiques à la fois. En outre, j’ai commenté des mots qui n’ont pas de rapport direct avec la magie mais qui sont susceptibles, à mon sens, de n’être pas toujours compris.
Augures. — Dans la Rome ancienne, prêtres qui annonçaient l’avenir d’après le vol et le comportement des oiseaux. L’énorme majorité d’entre eux étaient des charlatans conscients et organisés. On peut en dire autant des augures de l’institut bien qu’ils utilisent d’autres méthodes.
Anacéphale. — Monstre dépourvu de matière cérébrale et de boîte crânienne. Habituellement, les anacéphales meurent à la naissance ou dans les heures qui suivent.
Bethsalel, Lev Ben. — Célèbre magicien du Moyen Age, alchimiste à la cour de l’empereur Rudolf II.
Basilic. — Dans les contes, monstre à corps de coq et queue de serpent dont le regard tuait. En réalité, genre de pangolin presque disparu de nos jours, couvert de plumes, ancêtre de l’archéoptéryx. Capable d’hypnotiser. Le vivarium de l’institut en abrite deux exemplaires.
Danaïdes. — Dans la mythologie grecque, filles criminelles du roi Danaë qui avaient tué leurs maris sur son ordre. Elles furent condamnées à remplir des tonneaux sans fond. Par la suite, lors d’une révision de leur procès, le juge prit en considération le fait qu’elles avaient été contraintes au mariage. Cette circonstance atténuante permit de les affecter à des travaux moins insensés : à l’institut, elles sont occupées à défoncer le bitume qu’elles ont elles-mêmes coulé à quelque temps de là.
Démon de Maxwell. — Élément important d’une expérience imaginaire du grand physicien anglais Maxwell, dirigée contre le deuxième principe de thermodynamique. Dans cette expérience, le démon se place à côté de l’ouverture de la paroi qui sépare en deux un récipient rempli de molécules en mouvement. La tâche du démon consiste à laisser passer les molécules rapides d’une partie du récipient dans l’autre et de fermer la porte au nez des lambines. Le démon idéal est ainsi capable, sans grande dépense de travail, de créer une très haute température dans une moitié du récipient et une très basse température dans l’autre, réalisant un moteur perpétuel. Notre institut est le seul à avoir trouvé ces démons et à avoir réussi à les faire travailler.
Djinn. — Mauvais génie des légendes arabes et persanes. Presque tous les djinns sont des doubles du roi Salomon et des mages de son époque. Ils ont été utilisés dans des buts militaires et politiques. Ils se distinguent par un caractère épouvantable, l’insolence et l’ingratitude. Leur ignorance et leur agressivité sont telles qu’ils se trouvent presque tous en détention. La magie moderne les utilise comme cobayes. En particulier, Edik Ampérian a pu définir à l’aide de treize djinns la quantité de mal que peut causer à la société un idiot inculte et méchant.
Djan Ben Djan. — Savant ou guerrier de l’Antiquité. Son nom est toujours associé à l’idée de bouclier et ne se rencontre pas isolément. ( Il est mentionné, par exemple, dans la Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert. )
Domovoï. — Dans l’esprit des personnes superstitieuses, être surnaturel vivant dans les maisons habitées. Les domovoï n’ont rien de surnaturel. Ce sont ou des mages déchus qu’on ne parvient pas à rééduquer, ou des hybrides de gnomes et d’animaux domestiques. A l’institut, ils sont sous les ordres de Modeste Matvéievitch et se voient confier des tâches auxiliaires qui ne demandent pas de qualification.
Dracula, comte. — Célèbre vampire hongrois ( XVIIe-XIXes. ) N’a jamais été comte. A commis d’innombrables crimes contre l’humanité. Il fut capturé par des hussards et solennellement transpercé d’un pieu de tremble devant un grand concours de peuple. Il se distinguait par une extraordinaire vitalité : son autopsie mit à jour un kilo et demi de balles d’argent.
Étoile de Salomon. — Signe magique en forme d’étoile à six branches. Actuellement, comme la plupart des figurations symboliques, il a perdu tout pouvoir et n’est bon qu’à effrayer les ignorants.
Fantôme. — Apparition, spectre. Pour la science moderne, condensé d’information nécrobiotique. Les fantômes provoquent un effroi superstitieux bien qu’ils soient complètement inoffensifs. A l’institut, nous nous en servons pour approfondir la vérité historique, mais juridiquement ils ne peuvent pas être considérés comme témoins.
Gnome. — Dans les légendes d’Europe occidentale, vilain petit nain qui gardait des trésors enfouis. J’ai bavardé avec plusieurs d’entre eux. Ils sont véritablement laids et véritablement nains, mais ils n’ont jamais entendu parler de trésors. La plupart des gnomes sont des doubles oubliés et désséchés.
Golem. — L’un des premiers robots, monstre d’argile sorti des mains de Lev Ben Bethsalel. ( cf, par exemple, le film tchèque, « Le Boulanger de V empereur ).
Harpies. — Dans la mythologie grecque, monstres qui personnifiaient les tempêtes. En réalité, sous-produit des expériences des premiers mages dans le domaine de la sélection. Elles ont l’aspect de grands oiseaux roux à tête de vieille femme, elles sont sales, gloutonnes et hargneuses.
Hydre. — Chez les Grecs anciens, animal fabuleux, serpent d’eau douce à sept têtes. Celui de l’institut est un reptile à plusieurs têtes, fils de Gorynytch le Dragon et d’une plésiosaure du lac Loch-Ness.
Homoncule. — Dans l’esprit des alchimistes du Moyen Age, être d’apparence humaine, créé artificiellement dans un matras. En réalité, il n’est pas possible d’obtenir en matras un être artificiel. Les homoncules sont synthétisés dans des incubateurs spéciaux et sont utilisés pour les simulations biomécaniques.
Incube. — Variété de revenants. Ont l’habitude de contracter mariage avec des vivants. N’existent pas. En magie théorique, le terme d’incube est utilisé dans un tout autre sens : mesure d’énergie négative d’un organisme vivant.
Incunable. — C’est ainsi qu’on appelle les premiers livres imprimés. Certains incunables ont des dimensions véritablement gigantesques.
Iphrites. — Variété de djinns. En général, les iphrites sont des doubles, bien conservés, de grands chefs de guerre arabes. A l’institut, ils sont utilisés comme gardiens par Modeste Matvéievitch, car ils se distinguent des djinns par leur esprit de discipline.
Lévitation. — Faculté de planer sans aucun appareillage technique. La lévitation des oiseaux, des chauves-souris et des insectes est bien connue.
Loup-garou. — Homme capable de se transformer en loup ( autre nom : Werwolf ). Il fait très peur aux personnes superstitieuses, sans qu’on comprenne pourquoi.
Marteau des sorcières. — Ancien manuel d’interrogatoire de troisième degré. Créé et utilisé par les hommes d’Église pour démasquer les sorcières. Considéré comme démodé, il n’a plus cours.
Oracle. — Chez les Anciens, moyen de communication entre les dieux et les hommes : vol des oiseaux ( chez les augures ) bruissement des arbres, délire des devins, etc. On appelait également oracle l’endroit où se faisaient les prédictions. L’oracle de Solovets, c’est une petite pièce obscure, où il est projeté, depuis de nombreuses années, d’installer un puissant ordinateur pour petites devinations.
Oupanichads. — Commentaire des quatre livres sacrés de l’Inde ancienne.
Pythie. — Prêtresse de la Grèce ancienne. Elle rendait ses oracles après avoir respiré des vapeurs méphitiques. A l’institut, elles n’exercent plus, elles fument beaucoup et se limitent à des recherches théoriques sur les prédictions.
Ramapithèque. — Selon les notions actuelles, précurseur immédiat du pithécanthrope sur l’échelle de l’évolution.
Ségur, Richard. — Héros d’un récit fantastique l’Énigme de Richard Ségur, inventeur de la photographie en relief.
Taxidermiste. — Empailleur. J’ai recommandé aux auteurs ce mot rare, car Cristobal Junta se met dans une colère noire quand on l’appelle simplement empailleur.
Tierce. — La soixantième partie de la seconde.
Vampire. — Revenant, buveur de sang des légendes populaires. N’existe pas. En réalité, les vampires sont des mages qui, pour une raison ou pour une autre, ont suivi le chemin du mal abstrait. Les plus anciens remèdes utilisés contre eux sont le pieu de tremble et les balles d’argent massif. Dans le livre, le mot vampire s’emploie toujours au figuré.