CHAPITRE VII

J’ai déjà indiqué qu’à une courte distance de l’arche des Atlantes, s’étendaient les ruines de la grande capitale de l’Atlantide. J’ai aussi relaté notre visite, sous nos cloches vitreuses ; mais comment traduire l’impression produite par ces immenses colonnes sculptées et ces bâtiments démesurés, gisant dans le silence et dans la lumière grise phosphorescente des profondeurs bathybiennes qui ne connaissaient d’autres mouvements que le lent balancement des frondes géantes sous l’action des courants, ou le volètement des ombres des grands poissons ? C’était l’une de nos excursions favorites ; guidés par notre ami Manda, nous avons passé bien des heures à examiner l’architecture étrange et les autres vestiges de cette civilisation disparue qui avait été, sur le plan des connaissances pratiques, bien en avance sur la nôtre.

J’ai dit : connaissances pratiques. Mais nous avons eu bientôt la preuve que sur le plan de la culture spirituelle un vaste abîme les séparait de nous. La leçon à tirer de leur essor et de leur déclin est que le plus grand danger que court un État se déclare lorsque l’esprit y distance l’âme. Il a détruit cette vieille civilisation ; il pourrait aussi bien ruiner la nôtre.

Nous avions remarqué que dans une partie de l’ancienne cité, un grand bâtiment avait dû être situé sur une colline, car il était encore surélevé par rapport au niveau général. Un long escalier de larges marches en marbre noir y donnait accès ; ce matériau avait été également utilisé pour la construction de presque tout l’édifice ; mais d’affreux champignons jaunes, véritable masse lépreuse, pendaient maintenant des corniches et de toutes les parties saillantes. Au-dessous de la porte principale une terrible tête de Méduse crachait des serpents ; ce même symbole se répétait sur les murs. À plusieurs reprises nous avions voulu explorer ce bâtiment, mais chaque fois notre ami Manda avait manifesté, un trouble extrême, et à grand renfort de gestes il nous avait suppliés de ne pas entrer. Nous ne pouvions que déférer à ses désirs, et cependant nous étions dévorés de curiosité. Un matin, Bill Scanlan et moi avons tenu un conseil de guerre.

– Écoutez-moi, patron, m’a-t-il dit. Il y a là quelque chose que ce type ne veut pas nous montrer ; mais plus il le cache et plus j’ai envie de le voir. Nous n’avons plus besoin de guides pour sortir. Je pense que nous pourrions mettre nos chapeaux de verre et aller nous promener par là comme n’importe quel citoyen. Nous explorerons le coin.

— Pourquoi pas ? …

J’étais aussi impatient que Scanlan. Mais le docteur Maracot étant entré sur ces entrefaites, je me suis tourné vers lui.

— … Voyez-vous une objection quelconque, Monsieur ? Peut-être voudriez-vous nous accompagner et élucider l’énigme du Palais du Marbre Noir ?

— Qui pourrait s’appeler aussi bien le Palais de la Magie Noire, m’a-t-il répondu. Avez-vous entendu parler du Seigneur de la Face Noire ? …

J’ai avoué que non. Je ne sais plus si j’ai déjà précisé que le Professeur était un spécialiste des religions comparées et des anciennes croyances primitives. La lointaine Atlantide n’avait pas échappé à son appétit de savoir.

— … C’est par le truchement de l’Égypte que nous avons appris quelque chose sur l’Atlantide, m’a-t-il expliqué. Ce que les prêtres du temple de Saïs ont dit à Solon est le noyau solide autour duquel s’est agglutiné le reste, moitié réalité, moitié fiction.

— Et qu’ont raconté ces saints prêtres ? a interrogé Scanlan.

— Oh, pas mal de choses ! Mais entre autres, ils ont transmis une légende sur le Seigneur de la Face Noire. Je ne peux pas m’empêcher de faire un rapprochement : n’aurait-il pas été le maître du Palais de Marbre Noir ? Certains assurent qu’il y a eu plusieurs Seigneurs de la Face Noire ; un au moins a laissé un souvenir durable.

— Quelle espèce de canard était-il ? a demandé Scanlan.

— Hé bien, d’après ce qu’on en a dit, il était plus qu’un homme, tant par ses pouvoirs que par sa méchanceté. En réalité, ce serait à cause de la corruption dont il avait contaminé le peuple, que tout le pays a été détruit.

— Comme Sodome et Gomorrhe.

— Exactement. Tout se passe comme si à partir d’un certain point, il devenait impossible d’aller plus loin. La patience de la nature est épuisée, et il ne reste qu’une solution : tout démolir et tout recommencer. Cette créature, que l’on peut difficilement appeler un homme, a trafiqué dans des sciences profanes pour acquérir des pouvoirs magiques extraordinaires qu’il a utilisés pour des fins mauvaises. Telle est la légende du Seigneur de la Face Noire. Elle expliquerait pourquoi sa demeure est encore pour ces pauvres gens un sujet d’abomination et d’horreur, et pourquoi ils ne tiennent pas à ce que nous en approchions.

— Voilà qui ajoute à mon envie d’y aller ! me suis-je écrié.

– À moi aussi ! a ajouté Bill.

— J’avoue, a dit le Professeur, que je serais très intéressé si je pouvais la visiter. Je ne pense pas que nos hôtes si complaisants nous reprocheraient une petite exploration privée, du moment que leurs superstitions les empêchent de nous accompagner. Nous n’aurons qu’à saisir la première occasion.

Il a fallu laisser passer plusieurs jours, car notre petite communauté vivait dans une intimité qui interdisait tout secret. Mais un matin, un rite religieux a réuni tous les Atlantes. Bien entendu nous en avons profité et, après avoir rassuré les deux gardiens qui actionnaient les pompes du hall, nous nous sommes trouvés seuls sur le lit de l’Océan et en route pour la vieille ville. Dans l’eau salée, la progression est lente, et la moindre des promenades fatigante. Toutefois nous n’avons pas mis une heure pour arriver devant la grande porte de ce palais du mal.

Il était beaucoup mieux conservé que les autres bâtiments de la cité ; le marbre extérieur n’était pas abîmé ; à l’intérieur, par contre, les meubles et les tentures avaient cruellement souffert. D’autre part, la nature avait prodigué au palais toutes sortes de décorations horribles. Par lui-même l’endroit était déjà sinistre ; mais dans les recoins ombreux se tapissaient des polypiers et d’affreuses bêtes qui semblaient surgir d’un cauchemar. Je me rappelle une énorme limace de mer pourpre répandue à de multiples exemplaires, et de gros poissons plats et noirs, posés sur le plancher comme des nattes, et dotés de longues tentacules vibrantes aux extrémités rouge feu. Nous étions obligés d’avancer avec précaution, car tout le bâtiment était rempli de monstres qui pouvaient fort bien se révéler aussi venimeux qu’ils en avaient l’air.

Sur les couloirs somptueusement décorés, ouvraient de petites chambres latérales ; mais le centre de l’édifice était occupé par une salle magnifique qui, au temps de sa splendeur, avait dû être l’une des salles les plus belles que des mains d’hommes aient édifiées. Dans cette lumière détestable, nous n’apercevions ni le plafond ni tous les murs ; mais en faisant le tour, nous avons pu apprécier grâce à nos lampes électriques ses proportions grandioses et la richesse de ses ornements. Ces ornements étaient des statues et des bas-reliefs, sculptés avec un art absolument parfait, mais atroces ou révoltants par la nature des sujets traités. Tout ce que l’esprit humain le plus dépravé pouvait concevoir en fait de cruauté sadique ou de luxure bestiale était étalé sur les murs. Des images monstrueuses et des créations abominables de l’imagination se profilaient de tous côtés dans l’ombre. Si jamais un temple a été érigé en l’honneur du diable, il l’a été là. D’ailleurs le diable lui-même était présent : au fond de la salle, sous un dais de métal décoloré qui avait pu être de l’or et sur un trône élevé en marbre rouge, une divinité était assise : véritable personnification du mal, sauvage, impitoyable, menaçante, taillée sur les mesures du Baal que nous avions vu dans l’arche, mais infiniment plus répugnante. La splendide vigueur de cette terrible image de marbre avait de quoi fasciner. Pendant que nous promenions sur elle les faisceaux lumineux de nos lampes et que nous méditions, nous avons brusquement sursauté : derrière nous venait d’éclater un rire humain, ironique et bruyant.

Nous avions la tête enserrée sous nos cloches vitreuses ! nous ne pouvions guère entendre ni proférer des sons. Et cependant nous avions tous les trois perçu ce rire satanique aussi distinctement que si nous avions eu l’ouïe libre. Nous nous sommes retournés d’un même élan, et la stupéfaction nous a cloués sur place.

Adossé contre une colonne de la salle, un homme avait croisé les bras sur sa poitrine, et ses yeux méchants nous observaient de façon menaçante. J’ai dit : un homme. En réalité il ne ressemblait pas à un homme normal ; d’ailleurs le fait qu’il respirait et parlait comme aucun homme n’aurait pu respirer ou parler au fond de la mer, et que sa voix portait là où aucune voix humaine n’aurait pu porter, nous confirmait qu’il était très différent de nous-mêmes. Physiquement c’était un être magnifique ; il ne mesurait pas moins de deux mètres quinze, et il était bâti comme un athlète complet ; nous le constations d’autant mieux qu’il portait un costume très collant, apparemment en cuir noir glacé. Il avait le visage d’une statue de bronze : cette statue aurait été le chef-d’œuvre d’un sculpteur s’il avait cherché à représenter toute la force et aussi tout le mal que peut exprimer une figure humaine. Cette face n’était ni bouffie ni sensuelle ; de tels défauts auraient en effet signifié une certaine faiblesse, et la faiblesse n’aurait pas été à sa place sur cette face-là. Au contraire, elle était extraordinairement ferme, bien découpée, avec un nez en bec d’aigle, des sourcils noirs hérissés, et des yeux sombres où couvait un feu qui pouvait s’embraser d’une méchanceté impitoyable. C’étaient ses yeux et sa bouche cruelle, droite, dure, scellée comme le destin, qui lui donnaient un air terrifiant. Quand on le détaillait, on sentait que, tout beau qu’il fût, il n’en était pas moins intrinsèquement mauvais jusque dans la moëlle des os, que son regard était une menace, son sourire un ricanement, son rire une raillerie.

— Hé bien, Messieurs, nous a-t-il dit en excellent anglais et d’une voix aussi audible que si nous étions de retour sur la terre, vous avez été les héros d’une aventure exceptionnelle, et vous vous préparez à en vivre une autre encore plus passionnante, mais mon bon plaisir l’interrompra peut-être brusquement. Cette conversation sera, j’en ai peur, un monologue ; comme toutefois je suis parfaitement capable de lire vos pensées, comme je connais tout de vos personnes, vous n’avez pas à redouter une méprise. Mais vous avez beaucoup, oui, beaucoup à apprendre ici …

Nous nous sommes regardés les uns les autres, complètement abasourdis. Il était vraiment pénible de ne pas pouvoir échanger nos réactions devant un pareil événement ! À nouveau son rire grinçant a retenti.

— … Oui, c’est vraiment pénible ! Mais vous pourrez bavarder quand vous serez de retour, car je désire que vous repartiez et que vous emportiez un message. Je crois que, sans ce message, votre intrusion chez moi aurait sonné votre glas. Mais d’abord j’ai différentes choses à vous dire. Je m’adresserai à vous, docteur Maracot, puisque vous êtes le plus âgé et sans doute le plus sage de votre groupe ; la sagesse pourtant aurait dû vous interdire une promenade comme celle-ci ! Vous m’entendez bien, n’est-ce pas ? Parfait ! Je ne vous demande qu’un signe de tête affirmatif ou négatif.

« Vous savez naturellement qui je suis. Je crois que vous m’avez découvert depuis peu. Personne ne peut penser à moi, ou parler de moi, sans que je le sache. Personne ne peut entrer dans cette vieille maison qui m’appartient et qui est mon sanctuaire le plus intime, sans que je n’y sois appelé. Voilà pourquoi ces pauvres misérables de là-bas l’évitent, et voulaient que vous vous absteniez d’entrer. Vous auriez été plus avisés en suivant leurs conseils. Vous m’avez fait venir ; une fois que je suis venu, je ne pars pas facilement.

« Votre esprit, doté de son petit grain de science terrestre, se tracasse sur les problèmes que soulève ma présence. Comment puis-je vivre ici sans oxygène ? Je ne vis pas ici. Je vis dans le grand monde des hommes sous la lumière du soleil. Je ne viens ici que lorsque l’on m’appelle, comme vous m’avez appelé. Mais je suis un être qui respire dans l’éther. Il y a ici autant d’éther que sur le sommet d’une montagne. Certains hommes peuvent vivre sans air. Le cataleptique passe des mois sans respirer. Je suis comme lui, mais en restant, vous vous en apercevez, conscient et actif.

« Vous vous demandez aussi comment il se fait que vous m’entendiez. N’est-ce pas l’essence même de la transmission par sans-fil qu’elle retourne de l’éther dans l’air ? Moi aussi, je peux transformer l’articulation éthérique de mes paroles pour les porter à vos oreilles à travers l’air qui remplit vos cloches stupides.

« Et mon anglais ? Hé bien, j’espère qu’il est à peu près correct. Je vis depuis quelque temps sur terre. Oh, une époque bien fatigante ! Depuis quand ? Est-ce onze mille ou douze mille ans ? Douze mille, je crois. J’ai eu le temps d’apprendre toutes les langues humaines. Mon anglais n’est ni meilleur ni pire que les autres.

« Ai-je résolu quelques-uns de vos problèmes ? Oui. Je le vois, même si je ne vous entends pas. Mais maintenant j’ai quelque chose de plus sérieux à vous dire.

« Je suis le Baal-seepa. Je suis le Seigneur de la Face Noire. Je suis celui qui a pénétré si avant dans les secrets de la nature que j’ai pu défier la Mort. J’ai organisé les choses de telle sorte que je ne pourrais pas mourir même si je voulais mourir. Pour me faire mourir, il faudrait que je rencontre une volonté plus forte que la mienne. Oh, mortels, ne priez jamais pour être délivrés de la mort ! La mort peut vous paraître terrible, mais la vie éternelle l’est bien davantage, et infiniment. Continuer, continuer, continuer à vivre pendant que passe l’interminable cortège des hommes ! Toujours être assis au bord de la route de l’histoire et la voir se faire, allant toujours de l’avant et vous laissant derrière ! Faut-il s’étonner que mon cœur soit sombre et amer, et que je maudisse le troupeau imbécile des hommes ? Je leur fais du mal quand je le peux. Pourquoi pas ?

« Vous vous demandez comment je peux leur faire du mal. Je détiens quelques pouvoirs, qui ne sont pas petits. Je peux incliner les esprits des hommes. Je suis le maître de la foule. Je me suis toujours trouvé là où le mal a été projeté et commis. J’étais avec les Huns quand ils ont dévasté la moitié de l’Europe. J’étais avec les Sarrazins quand au nom de la religion ils ont passé au fil de l’épée tous ceux qui les contredisaient. J’étais dehors la nuit de la Saint-Barthélemy. Derrière le trafic d’esclaves, c’était moi. C’est parce que j’ai chuchoté quelques mots que dix mille vieilles bonnes femmes, que des idiots appelaient des sorcières, ont été brûlées. J’étais le grand homme noir qui conduisait la populace de Paris quand les rues baignaient dans le sang. Quelle époque ! Mais j’ai récemment vu mieux en Russie. Voilà d’où j’arrive. J’avais presque oublié cette colonie de rats de mer qui se terrent sous la boue et qui perpétuent quelques-uns des arts et des légendes du grand pays où la vie s’était épanouie comme jamais elle ne s’est épanouie depuis. C’est vous qui les avez rappelés à mon souvenir, car cette vieille maison qui m’appartient est encore unie, par des vibrations personnelles dont votre science ne sait rien, à l’homme qui l’a édifiée et aimée. J’ai su que des étrangers y avaient pénétré, je me suis enquis, et me voici. Puisque maintenant je suis chez moi (et c’est la première fois depuis des milliers d’années) je me souviens de ce peuple. Il y a assez longtemps qu’il s’attarde. Il est temps qu’il disparaisse. Il est issu du pouvoir de quelqu’un qui m’a défié quand il vivait, et qui a construit cet instrument pour échapper à la catastrophe qui a englouti tous les habitants, sauf ses amis et moi. Sa sagesse les a sauvés ; mes pouvoirs m’ont sauvé. Mais maintenant mes pouvoirs vont écraser ceux qu’il a sauvés, et l’histoire ainsi sera complète …

Il a glissé une main contre sa poitrine, et il en a tiré un document.

— … Vous remettrez ceci au chef des rats de mer, a-t-il ajouté. Je regrette que vous, Messieurs, soyez amenés à partager leur destin ; mais puisque vous êtes la cause première de leur malheur, ce ne sera après tout que justice. Je vous reverrai ultérieurement. En attendant, je vous recommande l’étude de ces images et de ces sculptures ; elles vous donneront une idée de la cime où j’avais hissé l’Atlantide quand je la gouvernais. Vous trouverez là quelques traces des mœurs et coutumes du peuple quand il subissait mon influence. La vie était pleine de pittoresque, d’imprévu, de charme. À votre époque sinistre, on la qualifierait d’orgie de débauches. Ma foi, qu’on l’appelle comme on voudra ! Moi, je l’ai créée et répandue, j’en ai été heureux, je ne regrette rien. Si j’avais le temps, je recommencerais, et même je ferais mieux sans toutefois accorder le don fatal de la vie éternelle. Warda, que je maudis et que j’aurais dû exterminer avant qu’il eût le pouvoir de tourner des gens contre moi, a été plus intelligent : il lui arrive de revisiter la terre, mais c’est en esprit qu’il revient, pas en homme. Maintenant, je pars. Votre curiosité vous a conduits ici, mes amis : j’espère qu’elle a été satisfaite.

Alors nous l’avons vu disparaître. Oui, il s’est dissipé devant nous. Pas immédiatement. Il a commencé par s’éloigner de la colonne à laquelle il était adossé. Sa silhouette imposante a paru se brouiller sur les bords. Toute lumière s’est éteinte dans son regard, et ses traits sont devenus troubles, puis indistincts. Il s’est fondu en un nuage sombre qui est monté en tourbillonnant à travers l’eau stagnante de cette salle d’épouvante. Et puis nous n’avons plus rien vu. Nous étions à nouveau entre nous, mais émerveillés par les étranges possibilités de la vie.

Nous ne nous sommes pas attardés dans le Palais du Seigneur de la Face Noire. Ce n’était pas un lieu propice aux flâneries. J’ai retiré une dangereuse limace pourpre qui s’était posée sur l’épaule de Bill Scanlan, et moi-même j’ai été cruellement piqué à la main par le venin que m’a craché au passage un grand lamellibranche jaune. Quand nous nous sommes retrouvés dehors, maudissant notre folie, nous avons goûté avec joie la lumière phosphorescente de la plaine bathybienne, ainsi que l’eau limpide et translucide qui nous enveloppait. Nous avons mis moins d’une heure pour rentrer. Une fois débarrassés de nos cloches vitreuses, nous avons tenu conseil. Le Professeur et moi étions trop accablés pour exprimer en mots ce que nous pensions. La vitalité de Bill Scanlan s’est révélée encore une fois invincible.

— Sacrée fumée ! a-t-il murmuré. Voilà à quoi nous avons affaire maintenant. Ce type est sorti tout droit de l’enfer. Avec ses statues, ses bas-reliefs et le reste, il jouerait assez bien les tauliers dans une maison à lanterne rouge ! Comment en venir à bout ? Voilà la question !

Le docteur Maracot réfléchissait. Puis il s’est levé pour sonner ; notre serviteur habillé de jaune est entré.

— Manda ! a-t-il commandé.

Quelques instants plus tard, notre ami arrivait dans notre chambre. Maracot lui a tendu le message décisif.

Jamais je n’ai admiré un homme comme j’ai admiré Manda ce jour-là. Nous étions la cause d’une menace d’anéantissement de son peuple et de lui-même, du fait de notre curiosité injustifiable. Nous, des étrangers qu’il avait sauvés alors que tout leur semblait perdu ! Et pourtant, bien qu’il soit devenu blanc à la lecture du message, ses yeux n’ont pas exprimé le moindre reproche quand il les a tristement tournés vers nous. Il a secoué la tête ; le désespoir était entré dans son âme.

— Baal-seepa ! Baal-seepa ! s’est-il écrié en portant ses mains à ses yeux comme pour en chasser une vision horrible.

Il a arpenté la chambre, puis il s’est précipité dehors pour lire le message à la communauté. Nous avons entendu la grosse cloche convoquer tous les Atlantes dans la grande salle.

— Irons-nous ? ai-je demandé.

Le docteur Maracot a hoché la tête.

— Que pourrons-nous faire ? Et eux, que pourront-ils faire ? Quelle chance ont-ils contre quelqu’un qui a la puissance d’un démon ?

— Aussi peu qu’une famille de lapins contre une belette, a répondu Scanlan. Mais, sapristi, c’est à nous de trouver une issue ! Nous ne pouvons pas en rester là : avoir fait dresser le diable, et laisser périr ceux qui nous ont sauvés.

— Que proposez-vous ?

Je l’avais interrogé avec âpreté, car sous la façade de sa légèreté et de son argot, je savais qu’il possédait toutes les qualités pratiques de l’homme moderne.

— Hé bien, je n’en ai pas la plus petite idée ! Pourtant ce type n’est peut-être pas invulnérable autant qu’il le croit. L’âge a peut-être usé quelques-unes de ses malices ; or il n’est plus très jeune, d’après ce qu’il nous a dit.

— Vous croyez que nous pourrions l’attaquer ?

— Folie ! a crié le Professeur.

Scanlan a ouvert son tiroir. Quand il s’est retourné vers nous, il tenait un gros revolver à six coups.

— Que pensez-vous de ceci ? Je l’ai retiré de l’épave du Stratford. Je m’étais dit que nous pourrions en avoir besoin un jour. J’ai aussi une douzaine de balles. Je pourrais lui faire douze trous dans le collant, histoire de lui faire perdre un peu de sa magie ? Oh, mon Dieu ! Qu’est-ce que j’ai ?

Il a lâché le revolver qui est tombé sur le plancher, et il s’est tordu de douleur, sa main gauche étreignant son poignet droit. Des crampes terribles avaient attaqué son bras ; quand nous avons voulu le masser, nous avons senti que ses muscles étaient noués, aussi durs que les racines d’un arbre. La souffrance lui arrachait des gouttes de sueur sur le front. Finalement, dompté et épuisé, il est allé se jeter sur son lit.

— Je suis fini ! a-t-il déclaré. Oui, merci, ça va mieux. Mais c’est le K. O. pour Bill Scanlan. J’ai appris ma leçon. On ne se bat pas contre l’enfer avec un revolver à six coups ; inutile de jouer à ça. Je m’incline devant plus fort que moi, de ce jour jusqu’à la fin de l’éternité.

— Oui, a dit Maracot, vous avez eu votre leçon, et elle a été sévère !

— Alors vous pensez qu’il n’y a aucun espoir ?

— Que pouvons-nous tenter si, comme il le semble, il est au courant de tout ce qui se fait, de tout ce qui se dit ? Et pourtant, ne désespérons pas encore …

Il est demeuré assis silencieusement pendant quelques minutes.

— … Je pense que vous, Scanlan, vous feriez mieux de rester quelque temps où vous êtes. Vous avez eu une secousse dont vous ne vous rétablirez pas tout de suite.

— S’il y a quelque chose à faire, je suis votre homme, a répondu bravement notre camarade dont les traits tirés et les membres tremblants montraient la violence du choc qu’il avait subi.

— En ce qui vous concerne, je ne vois rien à faire. En tout cas, nous venons d’apprendre comment il ne fallait pas opérer. Toute violence serait vaine. Nous œuvrerons donc sur un autre plan : le plan de l’esprit. Restez ici, Headley. Je vais dans la pièce dont j’ai fait mon bureau. Peut-être, dans la solitude, verrai-je un peu plus clair.

Scanlan et moi avions appris par expérience à avoir la plus grande confiance en Maracot. Si un cerveau d’homme pouvait résoudre nos difficultés, c’était bien le sien. Mais n’avions-nous pas atteint un point qui se situait au-delà de toute capacité humaine ? Nous étions aussi impuissants que des enfants, face à ces forces que nous ne pouvions ni comprendre ni contrôler … Scanlan a sombré dans un sommeil troublé. Assis à côté de son lit, je ne pensais pas à la façon dont nous pourrions être sauvés, mais j’essayais de prévoir la forme que revêtirait le coup fatal et l’heure à laquelle il serait assené. À tout moment je m’attendais à voir se crever le toit solide qui nous abritait, s’écrouler les murs, tandis que les eaux sombres des plus grands fonds se refermeraient sur ceux qui les défiaient depuis si longtemps.

Et puis tout à coup la grosse cloche a sonné encore une fois. Son lourd carillon m’a secoué d’un frisson d’inquiétude. Je me suis levé d’un bond ; Scanlan s’est redressé sur son séant. Ce n’était pas une convocation ordinaire. Les battements irréguliers de la cloche annonçaient une alerte, réclamaient tout le monde, et tout de suite. Scanlan m’a interpellé.

— Dites donc, patron, m’est avis qu’ils ont affaire avec lui, maintenant.

— Et alors ?

— Peut-être que ça leur donnerait un peu de courage de nous voir. De toutes façons, il ne faut pas qu’ils nous prennent pour des dégonflés. Où est le doc ?

– À son bureau. Mais vous avez raison, Scanlan. Il faut que nous soyons à leurs côtés et que nous leur montrions que nous sommes prêts à partager leur sort.

— Ces pauvres types paraissent s’appuyer sur nous dans un certain sens. Peut-être en savent-ils plus que nous, mais nous avons l’air d’avoir un peu plus d’esprit d’entreprise. Eux, ils ont pris ce qui leur a été donné ; nous, nous avons dû trouver nous-mêmes. Hé bien, il est temps d’aller au déluge … en admettant qu’il y ait un déluge !

Tandis que nous allions vers la porte, le docteur Maracot est entré. Mais était-ce vraiment le docteur Maracot que nous connaissions ? Nous avons vu un homme sûr de soi, un visage dominateur dont chaque trait brillait de force et de résolution … Le savant paisible s’était effacé devant un surhomme, un grand chef, une âme forte, capable de soumettre l’humanité à ses désirs.

— Oui, mes amis, notre présence sera nécessaire. Tout peut encore s’arranger. Mais venez tout de suite, sinon il serait trop tard. Je vous expliquerai tout par la suite, si tant est qu’il y ait une suite … Oui, oui, nous venons !

Ces derniers mots, accompagnés des gestes appropriés, s’adressaient à quelques Atlantes terrorisés qui étaient apparus sur le seuil et qui nous faisaient signe de les suivre. De fait, comme Scanlan l’avait dit fort justement, nous nous étions révélés en diverses occasions plus prompts à l’action et plus énergiques que ces êtres habitués à vivre entre eux ; à l’heure du plus grand danger, ils avaient l’air de se raccrocher à nous. Quand nous sommes entrés dans la salle bondée, j’ai entendu un murmure de satisfaction et de soulagement. Nous avons occupé les places qui nous étaient réservées au premier rang.

Il était temps ! Si toutefois nous pouvions être d’un secours quelconque … Le terrible personnage se tenait déjà sur l’estrade ; il contemplait la foule tremblante de son sourire cruel, démoniaque. La comparaison de Scanlan d’une famille de lapins devant une belette m’est revenue en mémoire quand je me suis retourné : les Atlantes étaient effondrés, ils se cramponnaient les uns aux autres tant ils avaient peur, ils regardaient de tous leurs yeux la silhouette puissante qui les dominait et la face de granit qui les observait. Jamais je n’oublierai ces gradins pleins d’une foule hagarde, horrifiée, pétrifiée d’épouvante. C’était à croire qu’il avait déjà statué sur leur sort, et qu’ils attendaient à l’ombre de la mort l’exécution de sa sentence. Manda avait adopté une attitude de soumission indigne : il plaidait pour son peuple d’une voix brisée ; mais ses paroles ne faisaient qu’ajouter au contentement du monstre qui ricanait. Brusquement le Seigneur de la Face Noire l’a interrompu par quelques mots rauques, et il a levé sa main droite en l’air : un cri de désespoir a jailli de l’assistance.

À cet instant précis, le docteur Maracot a sauté sur l’estrade. Il était extraordinaire à voir ! Un miracle l’avait transformé. Il avait la démarche et l’attitude d’un jeune homme ; mais sur son visage rayonnait l’expression d’une puissance comme je n’en avais jamais vu chez quiconque. Il s’est avancé vers le géant basané, qui l’a regardé avec étonnement.

— Hé bien, petit homme, qu’avez-vous à dire ? a-t-il demandé.

— Simplement ceci, a répondu Maracot. Ton temps est révolu. Tu as laissé passer l’heure. Descends ! Descends dans l’Enfer qui t’attend depuis si longtemps. Tu es un Prince des Ténèbres. Retourne dans ton royaume de ténèbres.

Les yeux du démon ont lancé des flammes.

— Quand mon temps sera révolu, en admettant qu’il le soit un jour, ce n’est pas des lèvres d’un misérable mortel que je l’apprendrai ! Quels sont tes pouvoirs pour que tu puisses t’opposer un instant à celui qui connaît tous les secrets de la nature ? Je pourrais t’anéantir sur place !

Maracot a fixé sans ciller ces yeux terribles. J’ai cru discerner qu’au contraire c’était le géant qui paraissait mal à son aise.

– Être mauvais ! a répliqué Maracot. C’est moi qui détiens la puissance et la volonté de t’anéantir sur place. Trop longtemps tu as souillé le monde de ta présence. Tu as infecté tout ce qui était beau et bon. Le cœur des hommes sera plus léger quand tu seras parti, et le soleil brillera avec une clarté plus grande.

— Qui es-tu ? Que dis-tu ? a bégayé le monstre.

— Tu parles de connaissances secrètes. Te dirai-je ce qui est à la base de la science ? C’est que sur tous les plans, le bien peut être plus fort que le mal. L’ange vaincra encore le diable. Pour l’instant je suis sur ce même plan où tu t’es tenu si longtemps, et je détiens le pouvoir conquérant. Il m’a été donné. Voilà pourquoi je te répète : « Descends ! Redescends dans l’Enfer auquel tu appartiens ! Descends, démon ! Descends, je te dis ! Descends ! »

Et le miracle s’est produit. Pendant une minute ou deux (comment compter le temps en de pareils instants ?) les deux êtres, le mortel et le démon, se sont fait face sans parler ; leurs yeux immobiles s’affrontaient, armés de la même volonté inexorable. Tout à coup le monstre a flanché. La figure convulsée de rage, il a brandi ses deux bras en l’air.

— C’est toi, Warda ! Toi, maudit ! Je reconnais tes œuvres ! Oh, je te maudis. Warda ! Je te maudis ! Je te maudis !

Sa voix s’est éteinte, les contours de sa longue silhouette noire se sont brouillés, sa tête est retombée sur sa poitrine, ses genoux ont vacillé, et il s’est affaissé peu à peu. En s’affaissant il changeait de forme : il a été d’abord un être humain qui s’accroupissait, puis une masse noire informe ; enfin, dans une brusque secousse, il s’est liquéfié en un tas de putréfaction noire qui a taché l’estrade et empuanti l’air. Alors Scanlan et moi, nous nous sommes précipités vers notre chef, car le docteur Maracot, ayant épuisé ses pouvoirs, était tombé en avant, à demi-mort.

— Nous avons gagné ! Nous avons gagné ! a-t-il murmuré avant de s’évanouir.

* * *

Voilà comment les Atlantes ont été sauvés du plus horrible danger qui pouvait les menacer, et comment une présence maléfique a été bannie du monde à jamais. Il a fallu que nous attendions quelques jours pour que le docteur Maracot soit en état de nous raconter son histoire ; elle était d’ailleurs tellement extraordinaire que, si nous n’avions pas assisté à son épilogue, nous l’aurions attribuée au délire. Ses pouvoirs l’avaient abandonné sitôt passée l’occasion de les manifester, et il était redevenu l’homme de science doux et paisible que nous avions connu.

— Que cela me soit arrivé à moi ! s’est-il exclamé. À moi, un matérialiste, un homme si absorbé par la matière que dans ma philosophie l’invisible n’existait pas ! J’ai entendu crouler en miettes les théories de toute ma vie.

— Il paraît que nous sommes tous retournés à l’école, a dit Scanlan. Si jamais je rentre dans mon petit pays, j’aurai quelque chose à dire aux enfants !

— Moins vous leur direz, mieux cela vaudra, à moins que vous ne teniez à acquérir la réputation du plus grand menteur d’Amérique, ai-je répondu. Auriez-vous cru, aurais-je cru moi-même tout ce que nous avons vu, si un autre nous l’avait raconté ?

— Peut-être que non. Mais vous, doc, vous avez rudement bien mené votre affaire ! Ce grand dogue noir a été déclaré « out » au bout des dix secondes réglementaires. Pas moyen qu’il se relève. Et il ne se relèvera plus. Vous l’avez rayé de la carte. Je ne sais pas sur quelle autre carte il a trouvé un appartement, mais en tout cas Bill Scanlan n’ira pas loger chez lui !

— Je vais vous dire exactement ce qui s’est passé, a murmuré le Professeur. Vous vous rappelez que je m’étais retiré dans mon bureau. J’avais bien peu d’espoir dans le cœur, mais j’avais beaucoup lu à différents moments de mon existence sur la magie noire et les sciences occultes. Je savais que le blanc peut toujours dominer le noir s’il parvient à se hisser sur le même plan. Or il se trouvait sur un plan beaucoup plus fort (je n’ai pas dit : supérieur) que nous. C’était l’élément fatal.

« Ne voyant aucun moyen de franchir l’obstacle, je me suis jeté sur le canapé, et j’ai prié. Oui, moi, matérialiste endurci, j’ai prié ! J’ai imploré une aide. Quand on se trouve au bout de tout pouvoir humain, que faire sinon lever des mains suppliantes dans les brumes qui nous entourent ? J’ai prié, et ma prière a été miraculeusement exaucée …

« J’ai soudain pris conscience d’une présence : je n’étais plus seul dans la pièce. Devant moi se dressait une grande silhouette, aussi basanée que le maudit que nous avons combattu, mais son visage resplendissait de bienveillance et d’amour. Il détenait un pouvoir aussi fort que l’autre ; mais c’était le pouvoir du bien, le pouvoir sous l’influence duquel le mal se dissiperait comme le brouillard se dissipe devant le soleil. Il m’a regardé avec douceur ; moi j’étais trop surpris pour parler. Une inspiration, ou une intuition, m’a averti qu’il était l’esprit du grand sage de l’Atlantide qui avait combattu le mal pendant sa vie et qui, ne pouvant empêcher la destruction de son pays, avait pris ses précautions pour que les plus dignes de ses compatriotes pussent survivre même s’ils sombraient dans l’Océan. Cet être merveilleux allait maintenant s’interposer pour empêcher la ruine de son œuvre et la destruction de ses enfants. L’espoir m’est revenu ; j’ai tout compris comme s’il m’avait parlé. En souriant, il s’est avancé et il m’a imposé ses deux mains sur la tête. Sans doute m’a-t-il transféré sa propre vertu et sa propre force. Je les ai senties parcourir mes veines comme du feu. Rien ne me semblait plus impossible. J’avais la volonté et le pouvoir d’accomplir des miracles. J’ai entendu sonner la cloche, qui annonçait l’imminence du drame. Quand je me suis levé, l’esprit a disparu sur un dernier sourire d’encouragement. Je vous ai rejoints ; vous savez le reste.

— Hé bien, Monsieur, lui ai-je répondu, je crois que votre réputation est faite ici. Si vous voulez vous établir comme dieu, rien de plus facile !

— Vous vous en êtes mieux tiré que moi, doc ! a murmuré Scanlan d’une voix maussade. Comment se fait-il que ce type n’ait pas su ce que vous faisiez ? Il s’était pourtant montré assez rapide à mes dépens quand j’ai empoigné mon revolver !

— Je suppose que vous vous étiez placé sur le plan de la matière alors que nous nous sommes trouvés, un moment, sur le plan de l’esprit, a répondu pensivement le Professeur. Ces choses-là enseignent l’humilité. C’est seulement quand on touche au supérieur que l’on mesure l’infériorité de notre qualité par rapport aux possibilités de la création. J’ai eu ma leçon. Puisse l’avenir démontrer que je l’ai retenue !

Ainsi s’est terminée notre aventure capitale. C’est un peu plus tard que nous avons conçu l’idée d’envoyer de nos nouvelles à la surface, et qu’ensuite, au moyen de boules vitreuses remplies de lévigène, nous avons fait notre ascension comme je l’ai raconté. Le docteur Maracot envisage de retourner en Atlantide : quelques problèmes d’ichtyologie le tracassent encore ; il souhaite parfaire ses observations. Mais Scanlan s’est marié à Philadelphie où il a été promu directeur des usines Merribank ; l’aventure ne le tente plus. Quant à moi … Hé bien, les grands fonds de la mer m’ont fait cadeau d’une perle rare, et je n’en demande pas davantage !

FIN

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