QUATRIÈME PARTIE : UN DANGEREUX VISITEUR

I

En dépit des immenses ressources médicales et chirurgicales dont disposait l’Hôpital Général du secteur douze, et qui n’avaient leur égal nulle part dans toute la Galaxie civilisée, il était inévitable que, parfois, un malade ne pût être sauvé. Le patient en question appartenait à la classification SRTT : un type physiologique encore jamais admis dans cet établissement. C’était une forme de vie amibienne qui pouvait faire jaillir de son corps n’importe quel membre, organe sensoriel, ou tégument protecteur nécessaire pour affronter l’environnement dans lequel elle évoluait. Cette créature possédait un pouvoir d’adaptation si fantastique qu’il était difficile de concevoir qu’elle pût tomber malade.

L’aspect le plus déconcertant de ce cas était l’absence de tout symptôme. Aucune des manifestations apparentes propres aux maladies connues n’était visible, et les analyses ne révélaient aucun microorganisme en quantité suffisante pour être considérée comme novice. Non, le patient fondait tout simplement, proprement et sans la moindre agitation, comme un glaçon dans une pièce chauffée. Son corps se transformait en eau. Aucun des traitements expérimentés sur lui n’avait pu stopper ce processus, et tandis que les diagnosticiens et les médecins de rang inférieur poursuivaient leurs efforts pour découvrir un remède approprié à ce cas, ils commençaient à prendre conscience que la série ininterrompue de miracles médicaux, qui avaient été accomplis avec une régularité monotone dans l’Hôpital Général du secteur douze, allait se terminer.

Et ce fut uniquement pour cette raison qu’une des règles les plus strictes de l’hôpital fut transgressée.


— Je suppose qu’il vaut mieux suivre un ordre logique, dit le Dr. Conway qui essayait de ne pas fixer les ailes iridescentes et pas entièrement atrophiées de son nouvel assistant. Nous commencerons par la réception, où l’on traite les problèmes d’admission.

Conway attendit pour voir si son assistant avait des commentaires à faire, tout en continuant de se diriger vers l’objectif qu’il venait de mentionner. Plutôt que de marcher à côté de son compagnon, il maintenait une avance de deux mètres sur lui, non en raison d’un sentiment de supériorité, mais parce qu’il craignait de lui infliger de graves dommages physiques s’il s’en approchait un peu trop.

Le nouvel assistant était un GLNO : un insecte de la planète Cinruss qui possédait six pattes, un exosquelette, et la faculté d’empathie. La gravité, sur son monde natal, était d’un onzième de la normale terrestre, et c’était pour cette raison qu’une certaine famille d’insectes avait atteint une telle taille et était devenue l’espèce dominante. Il portait deux ceintures-G afin de neutraliser l’attraction qui l’aurait autrement écrasé contre le sol de la coursive. Une seule ceinture eût été suffisante, mais Conway ne pouvait lui reprocher de se montrer prudent. Le Dr. Prilicla était fuselé, d’aspect maladroit, et incroyablement fragile.

Prilicla avait acquis de l’expérience dans des hôpitaux planétaires et dans des établissements à multi-environnements, et il n’était pas un véritable « bleu », avait-on dit a Conway, mais il se sentirait naturellement perdu face a la taille et à la complexité du Secteur Général. Conway devait lui servir de guide et de mentor tant qu’il resterait responsable du service pédiatrique, puis le Dr. Prilicla le remplacerait à ce poste. Apparemment, le directeur de l’hôpital estimait que les formes de vie vivant sous faible gravité, avec leur sensibilité et leur extrême délicatesse de toucher, étaient les mieux qualifiées pour prendre soin et manipuler les plus fragiles des embryons extra-terrestres.

Comme Conway s’interposait entre Prilicla et un interne Tralthien qui passait lourdement sur ses six pieds de pachyderme, il pensa que cette idée était excellente, à condition, toutefois, que la forme de vie sous faible gravité en question parvienne à survivre à cette association avec des collègues plus massifs et moins adroits qu’elle.

— Vous comprenez que l’admission de certains patients peut poser certains problèmes. Ils ne sont guère importants lorsqu’il s’agit de petites espèces, mais pour un Tralthien ou un AUGL de douze mètres venant de Chalderscol … ( Conway s’interrompit brusquement. ) Nous y sommes.

De l’autre côté d’un panneau mural transparent, ils pouvaient voir une pièce dans laquelle se trouvaient trois grosses consoles de contrôle, dont une seule était occupée. L’être qui y était assis était un Nidien, et des voyants lumineux indiquaient qu’il venait d’entrer en contact avec un vaisseau qui approchait de l’hôpital.

— Écoutez … dit Conway.

— Veuillez vous identifier, je vous prie, disait l’ourson de sa voix hachée ( qui était traduite dans un anglais sans intonation par le traducteur de Conway, et dans un cinrusskin également dénué d’émotion par celui de Prilicla. ) Malade, visiteur, ou médecin ? Veuillez également nous indiquer à quelle espèce vous appartenez.

— Visiteur, et je suis humain.

— Donnez votre classification physiologique, je vous prie, dit le réceptionniste couvert de fourrure tout en clignant de l’œil à l’attention de Conway et de Prilicla. Toutes les races intelligentes qualifient leur propre espèce d’humaine, et ce que vous venez de dire n’a en conséquence aucune signification.


Conway n’entendit qu’en partie le dialogue qui suivit, parce qu’il essayait de s’imaginer à quoi pouvait ressembler une créature appartenant à une telle classification. Le double T indiquait que son apparence et ses caractéristiques physiques étaient variables ; le R qu’il possédait une grande tolérance aux chaleurs et aux pressions élevées ; et le S placé dans cet ordre … Si elle n’avait pas attendu à l’extérieur de l’hôpital, Conway n’aurait jamais cru qu’une créature aussi fantastique pût exister.

Et le visiteur devait être un personnage important, car à présent le réceptionniste informait de son arrivée divers membres du personnel de l’hôpital, des diagnosticiens pour la plupart. Brusquement, Conway ressentit une forte curiosité pour l’inconnu. Il aurait aimé voir cet être peu commun, mais il pensa qu’il donnerait le mauvais exemple à Prilicla s’il allait faire le badaud alors qu’ils avaient du travail à effectuer. Et, pour Conway, son assistant était lui aussi une inconnue. Prilicla pouvait être un de ces individus qui estimaient qu’observer un membre d’une autre espèce, sans autre raison que la curiosité, constituait une insulte des plus graves …

— Si cela ne devait pas porter préjudice à notre travail, déclara alors Prilicla, je vous demanderais d’aller voir ce visiteur.

« Chic ! » pensa Conway, qui feignit cependant de réfléchir à cette proposition.

— Normalement, je ne devrais pas le permettre, dit-il finalement. Mais le sas par lequel doit arriver le SRTT est proche d’ici, et nous disposons d’un peu de temps devant nous. J’estime que je peux vous permettre de satisfaire votre curiosité, à titre exceptionnel. Veuillez me suivre, docteur.

Comme il faisait un signe d’adieu à l’ourson réceptionniste, Conway fut heureux que le traducteur de Prilicla n’ait pas pu rendre le contenu ironique de ses dernières paroles, et que son assistant ne fût pas conscient qu’il s’était moqué de lui. Soudain, le cours de ses pensées fut brusquement interrompu. Prilicla, se rappela-t-il avec gêne, était un empathique. L’être lui avait dit peu de choses, depuis qu’ils s’étaient rencontrés, peu auparavant, mais il avait toujours été du même avis que Conway, quels qu’aient été les sujets abordés. Son nouvel assistant n’était pas un télépathe, il ne pouvait pas lire les pensées, mais il était sensible aux sentiments, aux émotions, et il devait en conséquence avoir perçu la curiosité qui dévorait Conway.

Le Terrien aurait voulu se battre pour avoir oublié cela, et il se demanda qui au juste s’était moqué de l’autre.

Il trouva une consolation en pensant qu’au moins son assistant était une créature agréable à côtoyer, ce qui n’avait pas été le cas pour certaines personnes avec qui il avait récemment travaillé. Le Dr. Arretapec, par exemple.


Le SRTT allait arriver par le sas numéro six, qu’ils auraient pu atteindre en quelques minutes s’ils avaient emprunté le raccourci que représentait la coursive emplie d’eau qui conduisait au bloc opératoire AUGL, et traversé le bloc chirurgical PVSJ à l’atmosphère de chlore. Mais il aurait fallu pour cela enfiler une combinaison légère de plongée, et alors que Conway pouvait y pénétrer et s’en extirper rapidement, il doutait que Prilicla, avec ses longues jambes filiformes, pût en faire autant. Ils durent en conséquence suivre le chemin le plus long, et hâter le pas.

En chemin, un Tralthien portant le brassard doré des diagnosticiens et un Terrien du service technique d’entretien les dépassèrent. Le FGLI chargeait comme un char emballé, et le Terrien devait courir pour ne pas se laisser distancer. Conway et Prilicla se serrèrent respectueusement de côté pour laisser le passage au diagnosticien ( et éviter d’être écrasés ) puis ils poursuivirent leur route. Une bribe de conversation entendue au passage leur apprit que les deux êtres faisaient partie du comité d’accueil du SRTT, et d’après le ton caustique du Terrien, ils comprirent que le visiteur arrivait plus tôt que prévu.

Lorsqu’ils tournèrent à l’angle du corridor, quelques secondes plus tard, et qu’ils arrivèrent en vue du grand sas d’entrée, Conway vit une scène qui le fit sourire malgré lui. À ce niveau, trois couloirs donnaient dans le vestibule du sas numéro six, et sur les niveaux supérieurs et inférieurs, deux autres coursives le rejoignaient par des rampes. Des silhouettes se hâtaient dans chacun de ces passages. En plus du Tralthien et du Terrien qui venaient de les dépasser, il y avait un autre Tralthien, deux chenilles DBLF, et un Illensien épineux et membraneux vêtu d’une combinaison protectrice qui venait d’émerger du corridor empli de chlore de la section PVSJ. Tous se dirigeaient vers la porte intérieure du sas qui s’ouvrait déjà sur le visiteur tant attendu. Conway trouvait cette situation éminemment puérile, et il s’imagina toute la ménagerie du personnel de l’hôpital qui se précipitait brusquement vers le même point, en même temps …

Puis, tandis qu’il souriait toujours à cette pensée, la comédie se transforma soudain en drame.

II

Comme le visiteur pénétrait dans le vestibule et que le sas se refermait derrière lui, Conway vit que c’était un être qui ne lui rappelait rien qu’il eût déjà vu. Il ressemblait à un crocodile, et possédait des tentacules terminés par des griffes. Il vit l’être reculer face aux diverses créatures qui couraient à sa rencontre, puis se précipiter soudain vers le PVSJ qui était à la fois le personnage le plus proche et le plus petit. Tous semblèrent hurler en même temps, à tel point que le traducteur de Conway ( et sans doute tous les autres ), émit des sons aigus et oscillants qui perçaient les tympans en raison de la surcharge.

Le PVSJ Illensien qui faisait face aux dents et aux tentacules aux extrémités griffues du visiteur qui le chargeait pensa sans doute à la fragilité de l’enveloppe qui maintenait son chlore vital autour de lui, et il prit la fuite dans la coursive intérieure, en quête de la sécurité de sa propre section. Le visiteur, dont le chemin fut brusquement barré par un Tralthien qui prononçait des paroles qui se voulaient rassurantes, prit lui aussi cette coursive et s’enfuit en direction du même sas …

Tous les sas de ce type étaient équipés de système de sécurité : des commandes provoquaient l’ouverture d’une porte et la fermeture simultanée d’une autre, sans attendre que la chambre antérieure fût évacuée et emplie de la nouvelle atmosphère. Suivi de près par le visiteur devenu fou, le PVSJ dont la combinaison était déjà déchirée par les dents du SRTT estima, à juste titre, qu’il risquait de mourir asphyxié par l’oxygène, et il pressa rapidement la touche de secours. Il était peut-être trop effrayé pour remarquer que le visiteur ne se trouvait pas entièrement dans le sas, et que lorsque la porte intérieure s’ouvrirait, celle extérieure le trancherait en deux …

Il y avait tant de cris et de confusion autour du sas que Conway ne vit pas celui qui eut la présence d’esprit de presser un autre bouton provoquant l’ouverture simultanée des deux portes, et sauvant ainsi la vie du visiteur. Cette action évita au SRTT d’être coupé en deux, mais elle eut pour conséquence de laisser grand ouvert le sas qui donnait dans la section PVSJ où se formaient rapidement de lourds nuages jaunes de chlore. Avant que Conway ait pu réagir, les détecteurs de contamination du corridor déclenchèrent la sirène d’alarme et provoquèrent la fermeture des portes hermétiques du voisinage immédiat. Ils étaient maintenant tous emprisonnés dans un piège mortel.


Pendant un instant de panique, Conway dut combattre le besoin impérieux de courir jusqu’aux portes hermétiques et de les marteler de ses poings. Puis il pensa plonger dans cette brume empoisonnée pour atteindre un autre sas qu’il apercevait de l’autre côté. Mais il pouvait également voir un Terrien du service d’entretien et une chenille DBLF qui s’y trouvaient déjà, tous deux tellement asphyxiés par le chlore que Conway doutait fort qu’ils pussent enfiler leurs combinaisons. Pourrait-il aller jusque-là ? La chambre intérieure de ce sas contenait des casques dont la réserve d’air permettait de tenir dix minutes, ainsi que l’exigeaient les règlements de sécurité, mais pour pouvoir l’atteindre il lui faudrait retenir sa respiration et garder les yeux fermés durant trois minutes, parce que s’il respirait une seule bouffée de ce gaz, ou si ce dernier atteignait ses yeux, il serait à jamais infirme. Mais comment pouvait-il espérer franchir l’obstacle que représentait la lourde masse grouillante des jambes et des tentacules du Tralthien qui s’agitait en tous sens, sur le sol de la coursive, alors qu’il devrait avancer à tâtons, les yeux clos ? …

Le cours apeuré et chaotique de ses pensées fut interrompu par Prilicla qui déclarait :

— Le chlore est fatal à mon espèce. Veuillez m’excuser.

Prilicla fit alors quelque chose d’étrange. Ses longues jambes aux nombreuses jointures s’agitaient et tressautaient en tous sens, comme pour accomplir une danse rituelle primitive, et deux de ses appendices manipulateurs ( dont la possession rendait les membres de son espèce célèbres en tant que chirurgiens ) effectuaient des opérations compliquées avec ce qui ressemblait à des rouleaux de film plastique transparent. Conway ne vit pas exactement comment, mais le GLNO fut brusquement emmailloté dans une enveloppe lâche et transparente d’où sortaient ses six jambes et deux manipulateurs. Son corps, ses ailes, et ses deux autres membres qui projetaient fébrilement une solution visqueuse sur les ouvertures, en étaient entièrement recouverts. L’enveloppe ample s’enfla et se tendit, prouvant ainsi qu’elle était hermétique.

— J’ignorais que vous possédiez … commença Conway, avant de dire avec un sursaut d’espoir : Écoutez, faites ce que je vous dis. Vous devez aller me chercher un casque, vite …

Mais cet espoir mourut aussi vite qu’il avait vu le jour, avant même qu’il eût terminé de donner ses instructions au GLNO. Prilicla pouvait traverser une atmosphère de chlore, mais comment parviendrait-il à atteindre le sas où se trouvaient les casques, alors que la masse grouillante du Tralthien lui barrait le passage ? Le moindre choc pourrait lui arracher une jambe, ou transpercer son fragile exosquelette comme une coquille d’œuf. Il ne pouvait demander cela au GLNO, c’eût été un meurtre.

Il allait annuler ses précédentes instructions et dire à Prilicla de rester sur place, lorsque le GLNO se précipita dans la coursive, courut en diagonale sur le mur, et disparut dans le brouillard de chlore en se déplaçant au plafond. Conway se souvint que de nombreuses espèces apparentées à la famille des insectes possédaient des pieds munis de ventouses, et il reprit espoir. À tel point qu’il recommença à percevoir le monde extérieur.


Tout près de lui, le haut-parleur mural informait tout l’hôpital de l’accident qui s’était produit dans la zone du sas numéro six, tandis qu’au-dessous l’interphone émettait des bourdonnements rauques et qu’un voyant rouge s’allumait par intermittence : un employé du service d’entretien essayait de découvrir si des êtres vivants se trouvaient dans la zone contaminée. La nappe de gaz était presque sur lui, lorsque Conway décrocha le micro.

— Ne dites rien et écoutez-moi ! cria-t-il. Ici le Dr. Conway, au sas numéro six. Deux FGLI, deux DBLF, un DBDG, tous asphyxiés mais encore en vie. Un PVSJ dans une combinaison protectrice endommagée qui souffre d’un empoisonnement d’oxygène et peut-être de blessures physiques, et …

Un picotement soudain dans les yeux lui fit lâcher le micro. Conway recula jusqu’à la porte hermétique et il observa la brume jaunâtre qui approchait de lui. À présent, il ne pouvait presque plus rien voir de ce qui se passait plus bas dans la coursive, et il lui sembla qu’une épouvantable éternité s’écoulait avant que la silhouette fuselée de Prilicla n’apparût au plafond, juste au-dessus de lui.

III

Le casque que lui rapportait Prilicla était en réalité un masque à gaz possédant une réserve d’oxygène qui, une fois appliqué sur un visage, adhérait contre le front, les joues, et la mâchoire inférieure. Il ne disposait que d’une réserve d’air pouvant durer un temps très limité — dix minutes environ — mais une fois le danger de mort temporairement repoussé, Conway découvrit qu’il pouvait réfléchir plus facilement.

En premier lieu, il traversa le sas de l’intersection. Le PVSJ qui s’y trouvait était toujours immobile, et tout son corps avait pris une teinte bleuâtre, caractéristique d’un début de cancer de la peau. Pour les PVSJ, l’oxygène était un horrible poison. Le plus doucement possible, Conway tira l’Illensien dans sa propre section, jusqu’à une réserve dont il se rappelait la présence. La pression, dans cette partie de l’hôpital, était légèrement plus forte que dans celle réservée aux êtres à sang chaud respirant de l’oxygène et, pour le PVSJ, l’air y était relativement pur. Conway l’enferma dans ce compartiment, après y avoir pris une pile de feuilles de plastique qui servaient de draps de lit aux PVSJ. Le SRTT, quant à lui, n’était visible nulle part.

De retour dans l’autre coursive, il expliqua à Prilicla quelles étaient ses intentions. Le terrien, qu’il avait vu plus tôt, avait réussi à enfiler sa combinaison, mais il se déplaçait à tâtons, les yeux en pleurs et toussant violemment. Il était, de toute évidence, incapable de leur apporter la moindre aide. Conway se fraya un chemin parmi les corps à présent immobiles jusqu’au sas numéro six, qu’il ouvrit. Des bouteilles d’oxygène étaient soigneusement alignées contre la paroi intérieure. Il en décrocha deux et revint en arrière d’un pas mal assuré.

Prilicla avait déjà recouvert une forme inconsciente d’un drap. Conway ouvrit la valve d’une bouteille d’oxygène et la glissa sous l’enveloppe de plastique qu’il observa tandis qu’elle s’enflait et se plissait légèrement en raison de l’air qui l’emplissait. C’était la plus rudimentaire des tentes à oxygène, pensa-t-il, mais elle constituait ce qu’il pouvait leur offrir de mieux pour l’instant. Il alla chercher d’autres bouteilles.

Après le troisième voyage, Conway commença à noter des signes d’avertissement. Il transpirait abondamment, sa tête semblait vouloir éclater, et de grandes taches noires brouillaient sa vision. Sa réserve d’air s’épuisait. Il était grand temps qu’il ôte ce masque et qu’il glisse également sa tête sous un drap de plastique, puis qu’il attende les secours. Il fit quelques pas vers une silhouette couverte d’un drap, et s’écrasa sur le sol. Son cœur battait avec bruit dans sa poitrine, ses poumons étaient en feu, et il n’avait plus la force d’arracher le masque …


Conway fut tiré de son inconscience profonde et bizarrement inconfortable par la douleur : quelque chose voulait pénétrer dans sa poitrine. Il supporta cela le plus longtemps possible, puis il ouvrit les yeux.

— Laissez-moi, bon sang ! Je vais très bien !

L’interne corpulent qui pratiquait sur lui, avec enthousiasme, la respiration artificielle, se releva.

— Lorsque nous sommes arrivés, dit-il, papa longues jambes nous a appris que vous veniez juste d’interrompre votre numéro. Durant un moment je me suis inquiété à votre sujet … hé bien, disons un peu inquiété. — Il sourit, avant d’ajouter. — Si vous pouvez marcher et parler, O’Mara voudrait vous voir.

Conway émit un grognement et se leva. Des ventilateurs filtrants avaient été installés dans la coursive et ils débarrassaient l’air des dernières traces de chlore, tandis que les victimes étaient emportées dans des caissons-civière à oxygène. Il toucha du doigt la partie de son front qui avait été mise à nu par l’arrachement brutal de son masque, et il prit une profonde inspiration, simplement pour s’assurer que le cauchemar était vraiment terminé.

— Merci, docteur, dit-il avec chaleur.

— Il n’y a pas de quoi, docteur, répondit l’interne.

Ils trouvèrent O’Mara dans la salle d’Éducation. Le psychologue en chef ne perdit pas de temps en vains préambules. Il désigna une chaise à Conway et une sorte de corbeille à papier surréaliste à Prilicla, avant d’aboyer :

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

La pièce était plongée dans l’ombre, à l’exception du rougeoiement des voyants lumineux du système éducatif, et d’une unique lampe posée sur le bureau de O’Mara. Alors qu’il commençait son récit, Conway ne pouvait voir que les mains dures et compétentes du psychologue, ainsi que deux yeux gris au regard ferme dans son visage plongé dans l’ombre. Les mains restèrent immobiles, et les yeux ne quittèrent jamais Conway, tant qu’il parla.

Lorsque le médecin eut terminé son récit, O’Mara soupira et resta silencieux plusieurs secondes, avant de dire :

— Quatre de nos plus grands diagnosticiens se trouvaient au sas numéro six, lors de cet accident. Des êtres dont cet hôpital ne pouvait se permettre la perte. L’action rapide que vous avez entreprise a certainement sauvé au moins trois de ces vies, et vous êtes donc deux héros. Mais je vais vous éviter de rougir et ne pas m’étendre sur ce point. Pas plus que je ne vous embarrasserai en vous demandant ce que vous faisiez là.

Conway toussa, puis demanda :

— Ce que j’aimerais savoir, c’est pourquoi le SRTT a perdu la tête. La seule explication que je pourrais trouver, c’est qu’il a été pris de panique en voyant cette foule qui se précipitait à sa rencontre, mais aucun être intelligent et civilisé n’aurait agi ainsi. Les seuls visiteurs dont nous autorisons l’admission sont, soit des représentants des gouvernements galactiques, soit des spécialistes. Aucun d’eux ne pourrait être effrayé à la vue de formes de vies différentes. Et pourquoi tant de diagnosticiens étaient-ils venus l’accueillir ?

— Ils se trouvaient là parce qu’ils étaient impatients de voir à quoi pouvait ressembler un SRTT, lorsque ce dernier n’essayait pas de prendre l’apparence d’un autre être. Cette donnée aurait pu les aider pour un cas sur lequel ils travaillent. De plus, avec une forme de vie inconnue, comme celle-ci, il est impossible de deviner ce qui a pu la faire réagir de cette manière. Pour terminer, j’ajouterai que ce n’est pas le genre de visiteur que nous acceptons ici, mais que nous avons fait une entorse au règlement parce que son parent se trouve dans l’hôpital : un cas désespéré.

— Je vois, répondit doucement Conway.

Un lieutenant du corps des Moniteurs pénétra dans la pièce et se dirigea rapidement vers O’Mara.

— Veuillez m’excuser, mon commandant, dit-il, mais j’ai appris quelque chose qui pourra peut-être nous aider à retrouver le visiteur. Une infirmière DBLF déclare avoir vu un PVSJ s’éloigner de la zone de l’accident au moment qui nous intéresse. Les chenilles DBLF ne trouvent généralement pas les PVSJ très jolis, comme vous le savez, mais cette infirmière affirme que celui-là était encore pire que les autres : un vrai monstre. À tel point qu’elle a pensé qu’il s’agissait d’un patient atteint par une horrible maladie …

— Avez-vous vérifié si aucun PVSJ n’est soigné pour une affection dont les symptômes correspondraient ?

— Oui, mon commandant. La réponse est négative.

L’expression de O’Mara se fit brusquement sinistre.

— Très bien, Carson. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Il hocha la tête en signe de congé.


Conway avait trouvé difficile de se contenir durant cette conversation, et lorsque le lieutenant eut quitté la salle, il ne put se taire plus longtemps.

— La chose que j’ai vue sortir du sas avait des tentacules et … et … elle ne ressemblait absolument pas à un PVSJ. Je sais que les SRTT sont capables de modifier leur structure physique, bien sûr, mais d’une façon si radicale et si rapide …

Brusquement, O’Mara se leva.

— Nous ne savons pratiquement rien sur ces créatures, tant en ce qui concerne les besoins que leurs réponses émotives, et il est grand temps de combler cette lacune. Je vais charger Colinson, des communications, de découvrir un maximum de choses à leur sujet : environnement, évolution, influences sociales et culturelles. Nous ne pouvons pas laisser ce visiteur errer à l’aventure. Il risque de faire des dégâts par pure ignorance.

« Mais voilà ce que j’aimerais que vous fassiez, ajouta-t-il. Gardez les yeux ouverts et cherchez un patient à l’aspect étrange dans les sections de pédiatrie. Le lieutenant Carson s’est rendu au central des communications intérieures afin de faire diffuser ces instructions à tout le personnel. Si vous remarquez quelqu’un qui pourrait être notre SRTT, abordez-le en douceur. Soyez rassurants, ne faites aucun mouvement brusque et prenez bien garde à ne pas le désorienter, en parlant ensemble, par exemple. Et contactez-moi immédiatement.

Lorsqu’ils furent à nouveau à l’extérieur, Conway estima qu’ils ne pourraient rien faire durant cette période de travail, et il repoussa la visite de leurs services. Il guida Prilicla jusqu’à la vaste salle qui servait de réfectoire aux membres du personnel de l’hôpital à sang chaud qui respiraient de l’oxygène. La salle était bondée, comme à l’accoutumée, et bien qu’elle fût divisée en sections réservées aux différentes formes de vie représentées dans cet établissement, Conway pouvait voir de nombreuses tables où des êtres appartenant à trois ou quatre classifications différentes s’étaient réunis — avec un inconfort extrême pour certains — afin de parler travail.

Conway désigna une table libre à Prilicla et commença à se diriger vers elle, pour voir son assistant, aidé par ses ailes toujours fonctionnelles, l’atteindre avant lui. Il avait pris de vitesse deux hommes du service d’entretien qui se dirigeaient vers le même objectif. Quelques têtes se tournèrent durant ce vol d’une cinquantaine de mètres, mais seulement un bref instant. Les dîneurs étaient accoutumés à des spectacles plus étranges que celui-là.

— Je pense que la plupart de nos mets conviendront à votre métabolisme, dit Conway une fois qu’ils furent assis. Mais avez-vous certaines préférences ?

C’était le cas, et Conway faillit étouffer lorsque son assistant lui en fit part. Ce n’était cependant pas le mélange de spaghettis trop cuits et de carottes crues, qui était si choquant, mais la façon dont le GLNO se mit à les manger lorsque le plat arriva. Ses quatre mandibules buccales s’agitaient frénétiquement et tissaient le tout en une sorte de corde que sa bouche ( qui ressemblait d’ailleurs à un bec ) aspirait. Conway n’était généralement pas affecté outre mesure par de telles choses, mais ce spectacle pesait sur son estomac.

Brusquement, Prilicla s’arrêta.

— Ma méthode d’ingestion d’aliments vous incommode, dit-il. Je vais aller m’asseoir à une autre table.

— Non, non, répondit rapidement Conway qui comprenait que ses sentiments avaient été perçus par l’empathique. Cela ne sera pas nécessaire, je vous l’assure. Mais une tradition en vigueur dans cet hôpital veut que, lorsque nous mangeons entre personnes d’espèces différentes, l’on utilise les mêmes couverts que son hôte ou que son aîné. Heu … Pensez-vous pouvoir vous servir d’une fourchette ?

Prilicla le pouvait, mais en dépit de l’emploi de cet ustensile, Conway n’avait jamais vu de spaghettis disparaître aussi rapidement.

De la nourriture, leur conversation passa assez naturellement aux diagnosticiens et au système de bandes Éducatrices sans lequel ces êtres augustes, et également tout l’hôpital, auraient été impuissants.

Les diagnosticiens avaient droit, à juste titre, au respect et à l’admiration de tous, ainsi qu’à une certaine pitié. Car ce n’était pas seulement la connaissance que leur apportait une bande Éducatrice, mais également la personnalité de l’être qui avait possédé ce savoir. En effet, les diagnosticiens se soumettaient volontairement au plus grave des types de schizophrénie multiple, et le composant étranger qui partageait leur esprit était souvent si diamétralement opposé au leur qu’il n’avait parfois même pas le même système de logique.

Le seul dénominateur commun était le désir qu’à chaque médecin, quelle que soit sa taille, sa forme, ou le nombre de ses membres, de guérir ses patients.

À une table proche, un diagnosticien DBDG terrien devait visiblement faire des efforts pour manger un steak d’aspect absolument normal. Conway savait que cet homme s’occupait d’un cas qui nécessitait l’emploi d’une grande partie des connaissances contenues dans une bande physiologique Tralthienne, qu’il conservait en permanence dans son esprit. L’utilisation de ce savoir avait donné à la personnalité du Tralthien qui avait enregistré cette bande une position prééminente dans son esprit, et les Tralthiens abhorraient la viande sous toutes ses formes …

IV

Après le repas, Conway emmena Prilicla dans la première salle dont ils avaient la responsabilité, et en chemin il lui énuméra d’autres statistiques et d’autres informations d’ordre général. L’hôpital comprenait trois cent quatre-vingt-quatre niveaux, dans lesquels étaient soigneusement reproduits les environnements des soixante-huit formes de vie intelligentes connues sous le nom de Fédération Galactique. Conway n’essayait pas d’impressionner Prilicla avec l’immensité de l’Hôpital, ni de se vanter, bien qu’il fût extrêmement fier d’avoir obtenu un poste dans cet établissement célèbre. Il s’interrogeait simplement sur les moyens dont disposait son nouvel assistant pour se protéger contre les conditions de vie dans lesquelles il se trouverait bientôt, et c’était sa façon à lui de tourner autour du sujet.

Mais il constata bientôt que ses craintes étaient sans fondement, car Prilicla lui démontra comment la légère enveloppe protectrice presque diaphane dont il s’était revêtu lors de l’accident au sas numéro six, pouvait être renforcée de l’intérieur par une adaptation à petite échelle d’un type de champ de force semblable à celui utilisé comme protection anti-météorites à bord des vaisseaux interstellaires. En cas de besoin, ses jambes pouvaient être repliées de façon à se trouver à l’intérieur de l’enveloppe protectrice, au lieu d’en sortir, comme cela avait été le cas quelques temps plus tôt.

Tandis qu’ils se préparaient pour entrer dans la salle de pédiatrie AUGL, par où commencerait leur première visite, Conway fit à son assistant le résumé des dossiers médicaux de ses occupants.

L’adulte AUGL, une sorte de poisson de douze mètres de long, ovipare, et blindé d’écailles, était originaire de Chalderscol II. Mais les êtres à présent en observation dans ce service, étaient éclos seulement six semaines plus tôt, et ils ne mesuraient que quatre-vingt-dix centimètres. Les deux précédentes couvées de la même mère avaient été normales sous tous les aspects, et les enfants avaient paru être en excellente santé. Cependant, tous les bébés étaient morts deux mois après leur éclosion. Une autopsie pratiquée sur leur monde natal avait démontré que la mort était due à une calcification extrême du cartilage articulaire, à presque toutes les jointures du corps, mais elle n’avait pu apporter aucune lumière quant à la cause de cette calcification. À présent, Conway surveillait de près la dernière couvée, et il espérait apporter un démenti au célèbre proverbe qui veut qu’il n’y ait jamais deux sans trois.

— Je viens les voir chaque jour, expliqua encore Conway. Et tous les trois jours j’assimile une bande AUGL et j’effectue un examen complet. À présent que vous êtes mon assistant, cela s’applique également à vous. Au fait, lorsque vous prendrez une bande, faites-la effacer immédiatement après l’examen, à moins que vous ne désiriez errer durant tout le reste de la journée en pensant que vous êtes un poisson, et que vous vouliez agir en conséquence.

— Ce serait sans aucun doute un hybride intéressant, mais également déconcertant, reconnut Prilicla.

À l’exception de deux de ses manipulateurs, le GLNO était à présent entièrement enclos dans la sphère de son enveloppe protectrice qu’il avait suffisamment lestée pour ne pas être gêné par une trop grande flottabilité. Voyant que Conway était également prêt, il actionna la commande du sas et ils pénétrèrent dans le grand réservoir d’eau chaude et verte qui constituait la salle AUGL.

— Les patients réagissent-ils au traitement ? demanda-t-il.

Conway secoua négativement la tête. Puis, comme il comprenait que ce geste n’avait probablement aucune signification pour le GLNO, il précisa :

— Nous en sommes toujours au stade des recherches, et le traitement n’a pas encore commencé. Mais nous avons quelques idées, dont je pourrai discuter avec vous dès que vous aurez assimilé la bande AUGL, demain. Je suis certain que deux de nos trois patients survivront. Oui, l’un d’eux devra être utilisé comme cobaye afin de sauver les autres. Les symptômes apparaissent et se développent très rapidement, et c’est pour cette raison qu’il faut les surveiller de près. À présent que le moment crucial est proche, je pense le faire toutes les trois heures, et nous établirons un emploi du temps afin qu’aucun de nous n’ait à souffrir du manque de sommeil. Voyez-vous, plus tôt nous détecterons les premiers symptômes, plus nous disposerons de temps pour agir et plus grandes seront nos chances de tous les sauver. Je suis impatient d’apporter un démenti au proverbe.


Prilicla devait également ignorer de quel proverbe il s’agissait, pensa Conway, mais l’être apprendrait rapidement comment interpréter ses signes de tête, ses gestes, et ses figures de rhétorique. Conway avait dû faire le même apprentissage avec ses supérieurs non terrestres, et il s’était souvent demandé avec colère pourquoi personne n’enregistrait une bande traitant des formes ésotériques d’expression des autres races, à l’intention des jeunes internes. Mais ce n’étaient que des pensées superficielles. Au fond de son esprit se trouvait l’image nette et précise d’une jeune forme de vie presque embryonnaire dont l’exosquelette qui se développait ( la centaine de plaques plates osseuses qui auraient normalement dû pouvoir glisser les unes sur les autres grâce à des articulations flexibles de cartilage, afin de permettre la mobilité et la respiration ) allait devenir un fossile pétrifié qui emprisonnerait, pour un laps de temps très court, la conscience frénétique qu’il abritait …

— En quoi puis-je vous être utile, pour l’instant ? demanda Prilicla.

Le GLNO regardait les trois formes fluettes, fuselées, qui s’élançaient en tous sens dans le réservoir, et il se demandait apparemment comment il pourrait en arrêter une assez longtemps afin de l’examiner.

— Ils sont rapides, n’est-ce pas ? ajouta-t-il.

— Oui, et très fragiles. De plus, ils sont si jeunes que nous pouvons les considérer sans intelligence. Ils se laissent facilement effrayer et toute tentative d’approche les pousse à une telle panique qu’ils se mettent à nager follement en tous sens, jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent d’épuisement, ou qu’ils se blessent contre les parois … Il n’existe qu’une seule méthode. Il faut placer un champ de mines …

Rapidement, Conway s’expliqua et fit une démonstration. Il plaça un réseau de bulbes anesthésiants qui se dissolvaient dans l’eau, avant de pousser, doucement et à distance, les patients à le traverser. Plus tard, alors qu’ils examinaient les trois petites formes inconscientes et que Conway pouvait constater à quel point le toucher des manipulateurs de Prilicla était sensible et précis, et quelle était l’acuité de l’esprit du GLNO, ses espoirs de sauver les trois nourrissons augmentèrent.

Ils quittèrent l’environnement chaud et, pour Conway, plutôt agréable de la section AUGL, pour gagner la partie « brûlante » de leur service. Cette fois, ils se placèrent derrière un blindage de neuf mètres d’épaisseur pour examiner les patients à l’aide de mécanismes télécommandés. Aucun cas urgent ne se trouvait dans cette salle, et avant de partir Conway désigna la masse compliquée de la tuyauterie qui l’entourait. Le service d’entretien, expliqua-t-il, utilisait cette salle radioactive comme génératrice d’appoint pour l’éclairage et le chauffage de l’hôpital.

En bruit de fond, ils entendaient les haut-parleurs muraux qui informaient le personnel des progrès effectués dans la recherche du visiteur SRTT. Il n’avait toujours pas été retrouvé, et le nombre d’erreurs d’identité augmentait régulièrement. Conway n’avait guère repensé au SRTT, depuis qu’il avait quitté O’Mara, mais à présent il commençait à ressentir de l’anxiété à la pensée de ce que le visiteur pourrait provoquer comme dégâts dans sa section. Sans parler de ce que certains nourrissons pourraient lui faire subir. Si seulement il avait su plus de choses sur son compte. Si seulement il avait eu la moindre idée de ses motivations. Il décida d’appeler O’Mara.

— Selon nos dernières informations, les SRTT ont évolué sur une planète dont l’orbite est excentrique autour de son soleil, répondit O’Mara à la question de Conway. Les bouleversements géologiques et climatiques ont été tels, qu’un haut degré d’adaptation a été indispensable à la survie de l’espèce. Avant que ces êtres ne fondent une civilisation, leur seul moyen de défense était soit de prendre l’aspect le plus effrayant possible, soit de copier l’aspect physique de leurs attaquants dans l’espoir de leur échapper. Le mimétisme étant la principale façon d’éviter le danger, ils ont si souvent utilisé ce processus qu’il est devenu presque involontaire. Je dispose de quelques autres données à propos de leur masse et de leurs dimensions, selon leur âge. Mais c’est une espèce à la vie très longue, et cela ne nous sera guère utile. Ces notes ont été extraites du rapport rédigé par l’équipe d’exploration qui a découvert cette planète, et elles se terminent par un post-scriptum expliquant que tout cela nous a été transmis pour simple information, parce que ces êtres ne tombent jamais malades. — O’Mara fit une pause, avant d’ajouter — Ah !

— Je vous approuve, répondit Conway.

— Nous disposons encore d’un élément qui pourrait expliquer pourquoi le SRTT a été pris de panique à son arrivée ici. Leurs coutumes veulent que ce soit le membre le plus jeune de la famille, qui soit présent lors de la mort du parent, plutôt que l’aîné. Il existe un lien extrêmement fort entre le parent et le dernier né. Des estimations de masse placent notre fugitif dans la catégorie des plus jeunes. Il n’est pas un petit enfant, naturellement, mais il est encore très loin de la maturité.

Conway digérait toujours ces informations lorsque le commandant ajouta :

— Quant aux limitations, je dirais que la section de méthane est trop froide pour lui, et les salles radioactives trop « brûlantes ». De même que ce bain turc du dix-huitième niveau, où les malades respirent de la vapeur surchauffée. Mais hormis ces zones, il peut se rendre n’importe où.

— Cela pourrait m’aider, si je voyais le parent du SRTT. Serait-ce possible ?

Il y eut un long moment de silence avant que O’Mara ne réponde :

— Les diagnosticiens et autres génies grouillent littéralement autour du patient … Mais venez dès que vous aurez terminé la visite de vos services. J’essayerai d’arranger cela.

— Merci mon commandant, dit Conway avant de couper la communication.

Il ressentait toujours une étrange impression de gêne à propos du visiteur SRTT, la sinistre prémonition qu’il n’en avait pas terminé avec ce délinquant juvénile extra-terrestre qui était le plus grand des rois de la transformation. Il pensa avec amertume que son affectation actuelle avait dû réveiller en lui une vocation de nourrice, mais à l’idée des dégâts que le SRTT pourrait provoquer lors de ses vagabondages maladroits, ( dommages au matériel et aux installations, interruption de traitements scrupuleusement minutés et vitaux, blessures physiques et peut-être même mort des formes de vie les plus fragiles, ) Conway avait quelque peu la nausée.

L’impossibilité de capturer le fugitif rendait évident un fait très inquiétant. Le SRTT n’était pas jeune au point de ne pas encore savoir manœuvrer les sas d’intersection …

Irrité, Conway repoussa ces angoisses inutiles à l’arrière plan et il expliqua à Prilicla quels seraient les patients auxquels ils rendraient ensuite visite, et quelles seraient les mesures protectrices et les procédures d’examen à employer lorsqu’ils se trouveraient auprès d’eux.


Ce service contenait vingt-huit nourrissons de la classification FROB : des êtres courtauds, incroyablement forts, qui possédaient un revêtement corné qui leur servait de carapace flexible. Les adultes de cette espèce avaient tendance à être lents et lourdauds en raison de leur masse importante, mais les nourrissons pouvaient se déplacer à une vitesse surprenante en dépit d’une pression quatre fois supérieure à la gravité terrestre. Des scaphandres lourds étaient indispensables et les médecins et les infirmières ne pénétraient jamais dans la salle elle-même, sauf en cas d’extrême urgence. Les patients FROB qui devaient subir un examen étaient soulevés à l’aide d’une grue à grappin et hissés jusqu’à une coupole qui avait été installée dans le plafond à cet effet, où ils étaient anesthésiés avant d’être libérés de l’étreinte du grappin. L’on utilisait pour cela une longue aiguille extrêmement résistante qui était plantée au point où la plaque interne de l’avant-jambe rejoignait le tronc. C’était l’un des rares points faibles du corps des FROB.

— Je m’attends à ce que vous cassiez de nombreuses aiguilles avant de vous faire la main, ajouta Conway. Mais ne vous inquiétez pas pour ça, et ne pensez surtout pas que vous leur faites mal. Ces petits chéris sont si résistants qu’ils ne cilleraient même pas si une bombe tombait juste à côté d’eux.

Conway resta silencieux quelques secondes tandis qu’ils se dirigeaient d’un pas alerte vers la salle FROB. Les six jambes fines, aux multiples jointures, de Prilicla semblaient occuper tout le corridor, mais d’une manière ou d’une autre, elles ne se trouvaient jamais sous les pieds de Conway. Il n’avait plus l’impression de marcher sur des œufs lorsqu’il se trouvait près du GLNO, ou que son assistant se recroquevillerait et exploserait s’il lui arrivait de le heurter. Prilicla avait prouvé son habileté à éviter tout contact qui pouvait le blesser, avec ce qui était à la fois de l’habileté et de la grâce.

Conway pensa qu’un homme pouvait s’habituer à travailler avec n’importe qui, ou n’importe quoi.

— Mais pour en revenir à nos petits amis à la peau épaisse, reprit-il, la résistance physique de cette espèce, surtout chez les plus jeunes, ne va pas de pair avec une résistance aux germes ou aux virus infectieux. Ils développent par la suite les anticorps nécessaires pour lutter contre la maladie, et en tant qu’adultes ils sont tellement sains que c’est révoltant, mais au stade infantile …

— Rien ne leur est épargné, termina Prilicla. Dès que nous découvrons une nouvelle maladie, nous pouvons être certains qu’ils la contracteront.

Conway se mit à rire.

— J’oubliais que la plupart des hôpitaux planétaires ont leur dose de FROB, et que vous en avez sans doute déjà traités. Vous savez alors que ces maladies sont rarement fatales aux nourrissons, mais que leur guérison prend énormément de temps et que les traitements sont compliqués et peu encourageants, car les bébés attrapent immédiatement autre chose. Aucun de nos vingt-huit patients ne peut être considéré comme un cas grave, et s’ils se trouvent ici plutôt que dans un hôpital planétaire, c’est simplement parce que nous essayons de mettre au point un vaccin injectable qui les immunisera contre … Arrêtez-vous !

Ces mots avaient été secs, bas, et pressants. Un cri murmuré. Prilicla s’immobilisa et ses ventouses se collèrent au sol de la coursive. Tout comme Conway, le GLNO fixait l’être qui venait d’apparaître à l’intersection du corridor, à quelques mètres devant eux.

À première vue, il ressemblait à un Illensien. Ce corps informe avec une membrane sèche bruissante qui joignait les appendices supérieurs et inférieurs, était indubitablement celui d’un PVSJ. Mais la chose possédait également deux tentacules buccaux qui semblaient avoir été greffés à partir d’un donneur FGLI, une poitrine couverte de fourrure qui ne pouvait appartenir qu’à un DBLF, et elle respirait, tout comme Conway, une atmosphère riche en oxygène.

Il ne pouvait s’agir que du fuyard.

À l’opposé de toutes les lois de l’anatomie, Conway sentit son cœur battre au fond de sa gorge, comme il essayait de trouver des paroles amicales et rassurantes, afin de respecter les ordres de O’Mara. Mais le SRTT prit la fuite dès qu’il les aperçut, et tout ce que Conway trouva à dire fut :

— Vite, poursuivons-le !

Au pas de course, ils atteignirent l’intersection et ils prirent la coursive dans laquelle le SRTT venait de s’engouffrer. Prilicla se déplaçait à nouveau au plafond, de façon à ne pas gêner Conway. Mais ce qu’il vit devant lui fit oublier au terrien ses intentions de se montrer doux et rassurant.

— Arrêtez, espèce d’imbécile ! cria-t-il. N’entrez pas là dedans !

Le fugitif se trouvait à l’entrée du service FROB.

Ils atteignirent trop tard le sas d’entrée et, impuissants, ils virent à travers le hublot le SRTT ouvrir la porte intérieure avant de s’enfoncer vers le niveau inférieur, écrasé par une gravité quatre fois supérieure à celle extérieure. La porte interne se referma automatiquement, ce qui permit à Prilicla et à Conway de pénétrer à leur tour dans le sas et de s’équiper pour affronter l’environnement qui régnait dans ce service.

Conway se glissa frénétiquement dans le scaphandre lourd qui se trouvait dans la chambre du sas, et il régla rapidement la répulsion de sa ceinture G pour compenser la gravité de la salle. Prilicla, entretemps, avait effectué les mêmes opérations sur son propre équipement. Tout en vérifiant l’étanchéité des joints et des fermetures de son scaphandre, et en maudissant cette perte de temps pourtant indispensable, Conway put voir à travers le hublot d’inspection une scène qui le fit frissonner.

Le pseudo-Illensien SRTT gisait sur le sol, écrasé par la pression. Il était agité de légers soubresauts et un des nourrissons FROB, dont la curiosité avait été éveillée par cette chose à l’aspect bizarre, venait déjà vers lui d’un pas lourd. Un de ses grands pieds spatulés dut écraser le SRTT allongé sur le sol, parce qu’il bondit plus loin et commença rapidement à changer d’aspect. Les appendices fragiles et membraneux du PVSJ semblèrent se dissoudre dans le corps principal qui redevint le lézard aux tentacules griffus qu’ils avaient déjà vu au sas numéro six. C’était la plus épouvantable de toutes les apparences du SRTT.

Mais le nourrisson FROB était près de cinq fois plus volumineux que le SRTT, et il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il en fût effrayé. À l’aide de sa tête massive, il poussa le SRTT qui alla s’écraser contre le mur, vingt mètres plus loin. Le FROB voulait jouer.

Les deux médecins étaient à présent sortis du sas et ils se tenaient sur la passerelle menant à la coupole, d’où ils surplombaient la scène. Le SRTT se modifiait à nouveau, très rapidement. Le corps de lézard à tentacules n’était guère pratique, sous quatre G, pour faire face à ce bébé gigantesque, et le SRTT adoptait une autre forme.

Le FROB s’était à nouveau rapproché de lui, et il l’observait, fasciné.

V

— Docteur, sauriez-vous vous servir du treuil ? demanda Conway. Oui ? Alors, allez-y …

Comme Prilicla se hâtait le long de la passerelle en direction de la coupole de contrôle, Conway régla sa ceinture sur une gravité nulle, et il cria :

— Je vais vous diriger depuis le bas.

À présent sans poids, il se donna une poussée qui le fit descendre vers le sol.

Mais Conway n’était pas un étranger, pour le bébé FROB. Il était même fort probable que le nourrisson était las de voir cette silhouette qui ne savait jouer qu’à une seule chose : lui piquer de grosses aiguilles dans le corps, pendant qu’une main énorme et puissante l’immobilisait. Et, malgré les cris de Conway et ses gestes frénétiques, le bébé l’ignora. De plus, les autres patients du service commençaient à éprouver de l’intérêt pour le SRTT qui changeait constamment de forme …

— Non ! cria Conway, épouvanté en voyant en quoi le visiteur se transformait. Non ! Arrêtez ! Pas ça !..

Mais il était trop tard. Tous les occupants du service se ruèrent vers le SRTT, dans un tumulte assourdissant de grognements excités et de cris aigus qui, pour les enfants les plus âgés, étaient traduits par :

— Poupée ! Poupée ! Jolie poupée !

Conway bondit dans les airs pour ne pas être écrasé, et il regarda vers le bas la masse grouillante des FROB. Il eut la ferme conviction que le malheureux SRTT avait perdu la vie. Mais non. L’être avait réussi à survivre. Il n’avait pas été écrasé par les pieds monstrueux et les coups de tête avides, parce qu’il s’était collé contre le mur. Il émergea de la mêlée, meurtri mais toujours sous la même forme de caméléon qu’il avait adoptée avec l’idée fausse qu’en devenant un FROB modèle réduit, il serait en sécurité.

— Vite ! Le grappin ! hurla Conway.

Prilicla était prêt. Les mâchoires massives du grappin se balançaient déjà au-dessus du SRTT hébété, et lorsque Conway cria elles tombèrent et se refermèrent sur la créature. Le terrien bondit vers l’un des câbles du treuil et s’y agrippa. Tandis qu’ils s’élevaient, il s’adressa au SRTT.

— Vous êtes en sécurité, maintenant. Détendez-vous, je suis ici pour vous aider …

En réponse, le SRTT eut une violente convulsion qui faillit faire lâcher prise à Conway. Soudain, l’être était devenu une créature au corps de serpent, souple et visqueux, qui glissa hors des griffes du grappin et qui s’écrasa sur le sol avec un bruit mat. Les FROB sifflèrent d’excitation et chargèrent à nouveau.

Cette fois, la créature qui avait été effrayée dès son arrivée et qui n’avait cessé de fuir depuis, ne pourrait pas survivre, pensa Conway avec un sentiment d’horreur mêlé de pitié et d’exaspération. O’Mara l’écorcherait vif, pour ce qu’il allait faire, mais il sauverait momentanément la vie du SRTT s’il lui permettait de fuir.

Sur le mur opposé au sas d’entrée que Prilicla et lui-même avaient emprunté pour pénétrer dans la salle, se trouvait la porte par laquelle les malades FROB y étaient admis. C’était une simple porte, parce qu’elle donnait dans un couloir conduisant au bloc opératoire FROB qui était maintenu sous la même gravité et la même pression que cette salle. Conway plongea dans le vide jusqu’aux commandes de la porte qu’il fit glisser en position ouverte. Le SRTT, qui n’était pas aveuglé par la peur au point de ne pas voir cette issue, prit la fuite. Conway referma le panneau juste à temps pour empêcher certains malades de sortir eux aussi, puis il remonta vers la coupole dans l’intention de faire son rapport sur cet épouvantable gâchis à O’Mara.

La situation était à présent bien plus grave qu’ils ne l’avaient tous supposé. Pendant qu’il s’était trouvé à l’autre extrémité de la salle, Conway avait vu une chose qui rendrait la capture du fugitif encore plus difficile, et qui expliquait sa réaction lorsqu’il s’était adressé à lui : les restes brisés et écrasés du traducteur du SRTT.

La main de Conway se posait déjà sur l’interrupteur de l’interphone, lorsque Prilicla s’adressa à lui.

— Excusez-moi, docteur, mais est-ce que ma faculté de déceler vos émotions peut vous démoraliser ? Ou est-ce que le fait de dire tout haut ce que je peux avoir trouvé vous déplaît ?

— Hein ? Quoi ?

Conway pensa qu’il devait irradier de l’impatience, parce que son assistant avait choisi un bien mauvais moment pour poser une pareille question ! Il eut envie de ne pas faire cas de Prilicla, mais il estima alors que d’attendre quelques secondes avant de faire son rapport à O’Mara ne changerait rien à la situation, et il était possible que son assistant jugeât la chose importante. Les extra-terrestres étaient souvent bizarres.

— Non aux deux questions, répondit-il. Bien qu’à la réflexion je pourrais être embarrassé si vous faisiez part de vos découvertes à une tierce personne. Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Parce que j’ai pris conscience de votre profonde inquiétude pour vos patients, à cause de ce SRTT. J’éprouve des scrupules à accroître encore cette anxiété en vous faisant part du genre, et de l’intensité, des émotions que je viens de déceler dans l’esprit de cette créature.

Conway soupira.

— Crachez le morceau. De toute façon, la situation ne peut pas empirer …

Mais Conway se trompait lourdement.


Lorsque Prilicla eut terminé son explication, Conway éloigna sa main de l’interrupteur de l’interphone, comme si celui-ci était brusquement devenu brûlant.

— Je ne peux pas le mettre au courant par l’interphone, dit-il. Des patients, ou même des membres du personnel, pourraient entendre notre conversation et ce serait la panique.

Il hésita un instant, puis il cria :

— Venez, nous devons retrouver O’Mara.

Mais le psychologue en chef n’était pas dans son bureau ni dans la salle d’Éducation. Cependant, un de ses assistants leur apprit où il devait se trouver. Ils se précipitèrent vers le quarante-septième niveau et la salle d’observation numéro trois.

C’était une pièce immense maintenue à une pression et une température qui convenaient à des êtres à sang chaud respirant de l’oxygène. Les médecins DBDG, DBLF et FGLI y effectuaient les premiers examens des cas les plus troublants, ou les plus exotiques. Les patients, si l’environnement ne leur convenait pas, étaient abrités dans de grandes cuves étanches espacées à intervalle régulier le long des murs. Conway pouvait voir un groupe de médecins de toutes les formes et de toutes les espèces réunis autour d’une cuve transparente qui se dressait au centre de la salle. Elle devait contenir le SRTT agonisant dont Conway avait entendu parler, mais il ne pouvait se laisser distraire avant d’avoir parlé à O’Mara.

Il aperçut le psychologue au bureau des communications, et il se hâta dans sa direction.

O’Mara écouta impassiblement Conway tandis que ce dernier s’expliquait. Il ouvrit plusieurs fois la bouche pour l’interrompre, mais il se ravisa à chaque fois, la refermant en une ligne de plus en plus étroite et sinistre. Mais lorsque Conway parla du traducteur brisé, O’Mara lui fit signe de se taire, et il abaissa l’interrupteur de son interphone du même mouvement de la main.

— Passez-moi la division technique, le colonel Skempton, aboya-t-il. Colonel, notre fugitif se trouve aux alentours de la salle de pédiatrie FROB. Mais je crains qu’il n’y ait une complication … Il a perdu son traducteur … — Il fit une brève pause, avant d’ajouter — J’ignore moi aussi comment nous pouvons apaiser quelqu’un qui ne peut pas nous comprendre. Mais faites votre possible. Quant à moi, je vais étudier le problème sous l’angle des communications.

— Il leva puis abaissa à nouveau l’interrupteur.

— Colinson, des communications … Bonjour commandant Colinson. Je veux être relayé à l’équipe d’exploration des Moniteurs qui se trouve sur la planète du SRTT. Oui, celui sur lequel je vous ai demandé des renseignements, voici quelques heures. Pouvez-vous arranger ça ? Et faites-leur préparer une bande sonore dans la langue natale du SRTT. Je vous en dicterai le contenu dans un instant. Vous la passerez directement ici. La substance du discours, qui doit être dit par un SRTT adulte, sera approximativement la suivante …

Il s’interrompit comme la voix du commandant Colinson jaillissait du haut-parleur. Le responsable des communications rappelait à un certain raccommodeur de cerveaux que la planète des SRTT se trouvait presque à l’autre extrémité de la Galaxie, que la radio sub-spatiale était sujette à de nombreux parasites, et que le temps que le signal leur parvienne chaque étoile se trouvant sur son chemin l’aurait déformé avec sa part de perturbations, ce qui rendrait le message inintelligible.


Les espèces SRTT vivaient extrêmement longtemps, expliqua rapidement O’Mara. Ces êtres étaient hermaphrodites et se reproduisaient par scissiparité à intervalles très grands et avec énormément de douleur et d’efforts. Il y avait en conséquence un lien de très grande affection et ( chose bien plus importante en raison des circonstances ) de discipline, entre les enfants et les adultes de cette espèce. L’on croyait déjà, que quels que fussent les changements de forme d’un de ces êtres, il essayait toujours de conserver la voix et les organes auditifs qui lui permettaient de communiquer avec ses semblables.

Si un des adultes qui se trouvaient sur la planète mère pouvait préparer un sermon d’ordre général qui s’adressait aux jeunes qui se conduisaient mal, et si ce même discours pouvait être relayé jusqu’à l’Hôpital Général du secteur douze et être diffusé par le service des communications intérieures jusqu’au fugitif, alors l’obéissance innée du jeune SRTT envers ses aînés ferait le reste.

— Et cela devrait mettre un terme à cette petite crise, dit O’Mara en s’adressant à Conway après avoir coupé la communication. Avec un peu de chance, notre visiteur sera calmé dans quelques heures. Vos ennuis sont terminés, vous pouvez vous détendre …

Le psychologue s’interrompit. Il venait de remarquer l’expression de Conway.

— Vous ne m’avez pas encore tout dit ? lui demanda-t-il.

Conway hocha la tête et désigna son assistant.

— C’est le docteur Prilicla qui l’a décelé, par empathie. Vous devez comprendre que le fugitif est psychologiquement très troublé : chagrin pour la mort de son parent, peur éprouvée au sas six lorsque tout le monde s’est précipité vers lui, et à présent cette expérience traumatisante dans la salle de pédiatrie FROB. Il est jeune, sans maturité, et ce qu’il vient de vivre l’a ramené au stade animal ou seul l’instinct le … hé bien … — Conway s’humidifia les lèvres. — Quelqu’un a-t-il calculé depuis combien de temps le SRTT n’a pas mangé ?

O’Mara perçut immédiatement tout ce qu’impliquait cette question. Il pâlit brusquement et décrocha à nouveau le micro.

— Trouvez-moi Skempton, vite !.. Skempton ? … Colonel, je ne voudrais pas paraître mélodramatique, mais voudriez-vous utiliser le brouilleur de votre interphone ? Nous avons un nouveau problème …


Avant de partir, Conway se demanda s’il avait le temps de jeter un coup d’œil au SRTT qui agonisait, ou s’il devait retourner immédiatement dans son service. Dans la section FROB, Prilicla avait détecté dans l’esprit du fugitif de la faim en plus de la peur et de la confusion, et c’était la communication de cette découverte qui avait amené tout d’abord Conway, puis O’Mara et Skempton, à comprendre quelle menace redoutable représentait à présent le visiteur. Les jeunes de toutes les espèces sont notoirement égoïstes, cruels et asociaux, Conway le savait, et poussé par les affres de la faim, celui-ci deviendrait certainement cannibale. Désorienté comme il l’était, le jeune SRTT n’en aurait probablement même pas conscience, mais cela ne ferait aucune différence pour ses victimes.

Si seulement la plupart des patients de Conway n’avaient pas été si petits, si vulnérables, et si … appétissants.

D’autre part, un rapide regard au vieillard pourrait lui suggérer une méthode pour capturer le jeune. La curiosité qu’il éprouvait pour le mourant n’y était naturellement pour rien …

Il approchait de la cuve pour regarder le patient qui s’y trouvait, tout en essayant de ne pas gêner le medecin terrien qui lui en masquait la vue, lorsque l’homme se tourna, irrité.

— Pourquoi diable ne grimpez-vous pas sur mon dos, pendant que vous … Oh, c’est vous Conway ? Vous êtes venu ici pour nous faire part d’une autre théorie fantastique, je suppose ?

C’était Mannon, le médecin qui avait été autrefois le supérieur immédiat de Conway et qui était à présent devenu un professeur sur le point d’acquérir le statut de diagnosticien. Il avait sympathisé avec Conway dès son arrivée à l’hôpital, avait-il expliqué à plusieurs reprises alors que Conway pouvait l’entendre, parce qu’il avait un faible pour les chiens, les chats, et les internes. En temps normal, il ne lui était permis de garder en permanence que trois bandes éducatives dans son cerveau — celle d’un Tralthien spécialiste en microchirurgie, et celles de deux chirurgiens appartenant aux espèces LSVO et MSVK qui vivaient sous faible gravité — raison pour laquelle ses réactions étaient humaines durant de longues périodes de chaque journée. Pour l’instant, il regardait Prilicla qui voletait sur le pourtour de la foule, avec les sourcils levés.

Conway commença à donner des détails sur le caractère et les talents de son nouvel assistant, mais il fut interrompu par Mannon qui disait d’une voix forte :

— Ça suffit, mon gars. Vous commencez à ressembler à un témoin non sollicité. Un toucher léger et la faculté d’empathie vous seront très précieux dans votre travail habituel, je peux vous le garantir. Mais vous choisissez toujours d’étranges associés : des boules de glue qui lévitent, des insectes, des dinosaures, et j’en passe. Tous des êtres pour le moins singuliers, vous devrez l’admettre. Il n’y a que pour cette infirmière du vingt-troisième niveau que j’admire votre goût …

— Faites-vous des progrès, professeur ?

Conway était fermement décidé à faire revenir la conversation sur le sujet principal. Mannon était le meilleur des hommes, mais il avait la fâcheuse habitude de se moquer un peu trop des gens.

— Aucun, répondit Mannon. Et ce que j’ai dit sur les théories fantastiques est un fait. Nous en faisons tous, ici, et nous n’arrivons nulle part. Les techniques normales de diagnostic sont entièrement inutiles. Vous n’avez qu’à regarder cette chose !

Mannon s’écarta. Conway eut l’impression qu’on avait posé un crayon sur son épaule, et il sut que Prilicla se trouvait derrière lui et qu’il désirait également voir le SRTT.

VI

L’être qui se trouvait dans la cuve était indescriptible pour la simple raison qu’il avait essayé de devenir plusieurs choses à la fois, lorsque le processus de dissolution avait commencé. On pouvait voir des appendices articulés ou tentaculaires, des plaques de tégument recouvertes d’écailles, d’épines, ou de peau, qui se plissaient en des semblants de bouches et d’ouïes, le tout formant un salmigondis répugnant. Cependant, aucune de ces caractéristiques physiques n’était précise, parce que toute cette masse flasque s’était fondue, érodée, comme une statuette de cire laissée trop longtemps à la chaleur. Des gouttes d’eau suintaient continuellement du corps du malade pour tomber au fond de la cuve où le niveau de liquide atteignait presque dix-huit centimètres.

Conway avala sa salive avant de dire :

— En tenant compte des possibilités d’adaptation de cette espèce, de son immunité aux dommages physiques et autres, et en tenant également compte de l’aspect pour le moins disparate de son corps, j’estime fort possible que le problème soit d’ordre psychologique.

Mannon le regarda de bas en haut avec une expression sidérée.

— Des causes psychologiques ? Stupéfiant ! Eh bien, qu’est-ce qui pourrait mettre dans un pareil état un être immunisé contre les dommages physiques et les microbes, hormis un dérèglement de sa machine à penser ? Mais peut-être alliez-vous être plus précis ?

Conway sentit une onde de chaleur gagner ses oreilles et son cou. Il ne répondit rien.

Mannon émit un grognement, puis ajouta :

— Le produit de cette fonte n’est que de l’eau, plus quelques microorganismes inoffensifs en suspension. Nous avons essayé toutes les méthodes de traitement physique et psychologique auxquelles nous avons pu penser, mais sans obtenir le moindre résultat. Maintenant, quelqu’un suggère de congeler le patient, à la fois pour interrompre sa fonte et pour nous donner le temps de trouver quelque chose d’efficace. Mais nous n’avons pas été autorisés à le faire parce qu’en raison de son état actuel, cela le tuerait irrémédiablement. Deux télépathes ont essayé d’accorder leurs esprits sur le sien et de projeter une image mentale capable de le ramener à la raison, et O’Mara a été chercher au moyen-âge des méthodes telles que les électrochocs, mais rien n’a été efficace. Ensemble, nous avons réunis les points de vue de presque toutes les espèces de la Galaxie, et nous ne sommes toujours pas parvenus à trouver une base sur laquelle …

— Si le problème est vraiment d’ordre psychologique, j’aurais pensé que les télépathes …

— Non, l’interrompit Mannon. Pour cette espèce, l’esprit et la fonction de mémoire sont répartis également dans tout le corps, et non abrités dans un cerveau. Si ce n’était pas le cas, le SRTT ne pourrait pas opérer de telles modifications de son apparence. À présent, l’esprit de l’être se retire, drainé à l’extérieur du corps en des unités de plus en plus petites. Si petites que les télépathes ne peuvent plus les percevoir.

« Ce SRTT est une vraie monstruosité, ajouta pensivement Mannon. Son espèce a évolué à partir d’une forme de vie marine, naturellement, mais son monde a ensuite été le théâtre d’une intense activité volcanique accompagnée de tremblements de terre, et finalement une instabilité mineure de son soleil l’a transformé en désert. Ses habitants ont dû s’adapter pour survivre à tous ces bouleversements. Et leur méthode de reproduction, un processus de scission qui provoque la perte d’une partie importante de la masse parentale, est également à prendre en considération. Cela implique que l’embryon naît avec une partie de la structure cellulaire corps-esprit de son parent. Aucun souvenir conscient n’est transmis au nouveau-né, mais il conserve au niveau du subconscient les données qui lui permettent de changer d’aspect …

— Mais cela voudrait dire que la mémoire inconsciente d’un membre de cette espèce doit remonter …

— Oui, et c’est l’inconscient qui est le siège de toute psychose, intervint O’Mara qui venait de les rejoindre. N’en dites pas plus, cela me donne des cauchemars. Imaginez-vous en train de psychanalyser un malade dont le subconscient est vieux de cinquante mille ans !


La conversation se tarit peu après, et Conway, toujours inquiet à propos des activités du jeune SRTT, regagna hâtivement son service. Toute la zone était bondée d’hommes du service d’entretien et de Moniteurs vêtus de vert, mais le fugitif n’avait pas été à nouveau aperçu. Conway plaça une infirmière DBDG, celle que Mannon trouvait à son goût, de garde en combinaison de plongée à l’intérieur de la salle AUGL, parce qu’il s’attendait à du nouveau en ce lieu, à n’importe quel instant, et il s’apprêta avec Prilicla à aller visiter la salle de pédiatrie de la section de méthane.

Ce qu’ils avaient à faire parmi ces êtres au sang froid relevait de la simple routine, et Conway harcela Prilicla de questions sur l’état émotionnel du vieil SRTT qu’ils venaient de quitter. Mais le GLNO ne pouvait guère l’aider. Tout ce qu’il put dire, c’était qu’il avait perçu un besoin pressant de dissolution qu’il ne pouvait décrire avec plus de précision, parce qu’il ne trouvait rien, dans sa propre expérience, à quoi il pouvait le comparer.

Lorsqu’ils furent à nouveau à l’extérieur, ils découvrirent que Colinson n’avait pas perdu de temps. Les haut-parleurs débitaient une suite de mugissements entrecoupés de parasites à travers lesquels on pouvait percevoir un faible gloussement extra-terrestre : sans doute la bande sonore SRTT. Conway pensa que s’il s’était trouvé à la place d’un jeune garçon effrayé, qui écoutait une voix essayant de s’adresser à lui à travers ce fracas épouvantable, il ne se serait senti aucunement rassuré. De plus, l’atmosphère de la planète natale du SRTT devait certainement avoir une densité différente, ce qui augmentait encore la distorsion de la voix. Il n’en parla pas à Prilicla, mais Conway pensait que ce serait un véritable miracle si cette avalanche sonore obtenait les résultats escomptés par O’Mara.

Ce vacarme fut brusquement interrompu par une voix qui s’adressait à lui en anglais.

— Le Dr. Conway est prié de se rendre à l’interphone le plus proche.

Les parasites se firent à nouveau entendre, et Conway obéit à l’ordre qu’il venait de recevoir.

— Ici Murchison, dans le sas AUGL, lui dit une voix féminine. Quelqu’un, je veux dire quelque chose, vient de me dépasser dans la salle principale. J’ai tout d’abord pensé que c’était vous, docteur, jusqu’à ce que cette chose ouvre le sas intérieur sans mettre de combinaison protectrice. J’ai alors compris qu’il devait s’agir du SRTT. — Elle hésita avant d’ajouter : — En tenant compte de l’état des patients qui se trouvent dans la salle, je n’ai pas voulu donner l’alarme avant de vous en parler, mais je peux …

— Non, vous avez très bien fait. Nous arrivons …

Lorsqu’ils atteignirent le sas, cinq minutes plus tard, l’infirmière avait préparé une combinaison pour Conway. L’ensemble des caractéristiques physiques qui empêchaient tout membre terrien du personnel de la regarder avec détachement, était rendu légèrement moins attrayant par le port de sa propre combinaison protectrice. Mais Conway n’avait d’yeux que pour le hublot d’inspection intérieur, et pour la chose qui flottait de l’autre côté.

Cela ressemblait énormément à Conway. La couleur des cheveux était exacte, ainsi que le teint, et c’était vêtu de blanc. Mais les traits étaient disproportionnés et ils s’assemblaient de telle façon que le résultat était horrible. De plus, le cou et les mains n’entraient pas dans la blouse, mais devenaient le col et les manches du vêtement. Cela rappelait à Conway un soldat de plomb à la facture grossière et à la décoration bâclée.

Conway savait que les vies de ses patients n’étaient pas menacées pour l’instant, mais la situation évoluait très rapidement. Les bras et les jambes se fondaient, et de longues protubérances étroites, qui ne pouvaient être que des embryons d’ouïes, apparurent. Les patients AUGL étaient difficiles à attraper, pour un DBDG terrien, mais le SRTT s’adaptait pour un milieu aquatique et pour la rapidité.

— Entrons ! les pressa Conway. Nous devons le faire sortir de là avant qu’il ne …

Mais Prilicla n’entamait pas la série de contorsions qui accompagnaient toujours la fabrication de son enveloppe protectrice.

— Je viens de noter un changement intéressant dans la nature de ses émotions, dit brusquement le GLNO. Je perçois toujours la peur, la confusion, ainsi qu’une faim qui prime tout le reste …

— La faim !..

Murchison n’avait pas pris conscience jusqu’alors du terrible danger que couraient ses petits malades.

— … Mais je perçois également autre chose. Je ne peux décrire cela que comme une lointaine sensation de plaisir à laquelle s’ajoute le même besoin de dissolution que j’ai détecté il y a quelques instants chez son parent. Cependant, je n’arrive pas à expliquer ce brusque changement.

Conway pensait à ses trois petits malades, et à la forme de prédateur que prenait le SRTT.

— Il est probable que les événements récents aient affecté sa santé mentale, dit-il avec impatience. Quant à cette sensation de plaisir, elle est peut-être liée au milieu aquatique …

Il se tut brusquement. Ses pensées allaient plus vite que les mots, et elles ne suivaient plus un ordre logique. C’était plutôt un enchevêtrement de faits, d’expériences et de suppositions, qui bouillonnaient chaotiquement dans son cerveau. Puis, incroyablement calme et détachée, et, très, très claire, apparut la réponse.

Cependant, aucun des diagnosticiens à l’intelligence fantastique qui se trouvaient dans la salle d’observation numéro trois n’auraient pu la trouver, Conway en avait la certitude. Parce qu’ils n’avaient pas été présents, avec un assistant empathique, lorsqu’un jeune SRTT poussé à la folie par la peur et le chagrin, s’était brusquement immergé dans les eaux tièdes et jaunâtres du réservoir AUGL …

Lorsqu’un être complexe, intelligent et mûr, est confronté à des faits déplaisants et blessants, il se retire de la réalité. Il s’efforce tout d’abord de retrouver les jours simples et sans problèmes de l’enfance puis, lorsque cette période se révèle moins insouciante et paisible qu’il ne le paraissait à première vue, il se réfugie dans le ventre maternel en adoptant l’état inconscient et immobile du fœtus. Mais pour un SRTT, la position catatonique fœtale n’était pas aussi facile à atteindre, parce que son système reproducteur était tel que la période prénatale ne se déroulait pas dans une douce chaleur et le confort mental, car il faisait partie du corps mûr et adulte de son parent, et il devait prendre toutes les décisions avec lui. Parce que le corps d’un SRTT, chacune de ses cellules, était également esprit et que toute séparation est impossible pour un être dont chaque cellule est interchangeable.

Comment diviser un verre d’eau sans en verser une partie dans un autre récipient ?

Dans ses efforts pour atteindre le niveau de la non-existence, l’intellect malade devait alors se retirer de plus en plus loin, pour découvrir qu’il participait à des modifications et à des adaptations sans fin. Il remonterait dans le temps jusqu’à atteindre le vide spirituel désiré, et son corps, inséparable de son esprit, commencerait à se dissoudre en eau : l’élément unicellulaire à partir duquel il avait originellement évolué.

À présent, Conway connaissait la raison de la lente dissolution du malade qui se trouvait dans la salle d’observation. Il pensait même savoir comment réparer tout cet horrible gâchis. S’il avait seulement pu miser sur le fait que, ainsi que c’était le cas pour les autres espèces, un esprit mûr et complexe avait tendance à perdre plus rapidement la raison qu’un esprit plus jeune et moins développé …

Il n’eut que vaguement conscience de retourner auprès de l’interphone et d’appeler O’Mara, tandis que Murchison et Prilicla venaient vers lui. Puis il attendit, ce qui lui parut durer des heures, que le psychologue en chef assimile l’information et réagisse.

— C’est une théorie ingénieuse, docteur, dit O’Mara avec chaleur. Je dirais même que c’est exactement ce qui a dû se passer. Le seul ennui, c’est que cela ne peut aucunement aider le patient …

— À mon avis, le problème le plus grave est posé par le fugitif. S’il n’est pas rapidement capturé et ramené à la raison, nous aurons à déplorer des pertes sérieuses parmi le personnel et les patients, dans ma section en tout cas. Malheureusement, votre idée de le calmer à l’aide d’une bande magnétique enregistrée dans sa propre langue n’a, pour des raisons techniques, guère obtenu de résultats …

— C’est un euphémisme, répondit sèchement O’Mara.

— … Mais si nous apportions une petite modification à votre plan originel, et si c’était son parent qui s’adressait au jeune SRTT, les choses seraient peut-être différentes. Donc, il faut d’abord guérir le vieil SRTT …

— Guérir le vieux ? Et quoi diable croyez-vous que nous essayons de faire, depuis trois semaines ? demanda coléreusement O’Mara.

Puis, comme il comprenait que Conway n’essayait pas de faire de l’humour bon marché ou de paraître sciemment stupide, il ajouta :

— Expliquez-vous, docteur.

Conway s’expliqua. Lorsqu’il eut terminé, l’interphone lui retransmit un soupir de soulagement.

— Je crois que vous avez trouvé la réponse, déclara O’Mara, et nous allons mettre votre idée en pratique, malgré les risques que vous avez mentionnés. — L’excitation de O’Mara disparut pour faire place à un style télégraphique et efficace. — Prenez le commandement, docteur. Vous êtes le plus qualifié pour faire mettre en pratique votre plan. Utilisez la salle de jeux DBLF du niveau cinquante-neuf. Elle est proche de votre service et elle peut être évacuée rapidement. Nous allons nous brancher sur les circuits de communication existants pour ne pas perdre de temps, et le matériel que vous avez demandé sera installé dans cette salle dans moins d’une demi-heure. Vous pouvez commencer, Conway …

Avant que la communication fut coupée, Conway entendit O’Mara donner l’ordre aux Moniteurs et aux médecins qui se trouvaient dans la section de pédiatrie de se mettre à la disposition des docteurs Conway et Prilicla. Il venait à peine de se détourner de l’interphone, lorsque des Moniteurs vêtus de leur uniforme vert commencèrent à le rejoindre à l’intérieur du sas.

VII

Pour obliger le jeune SRTT à se réfugier dans la salle de jeux DBLF qui serait rapidement transformée en un piège à son intention, il fallait tout d’abord le chasser hors de la salle AUGL. Cela fut accompli par douze Moniteurs qui nageaient, suaient, poussaient des jurons, dans leurs combinaisons de plongée. Ils pourchassèrent maladroitement le fugitif jusqu’à ce qu’il fut acculé au point où le sas d’entrée lui offrait l’unique chemin d’évasion. Lorsqu’il franchit le sas, Conway, Prilicla, et un autre groupe de Moniteurs, l’attendaient dans la coursive extérieure. Tous ces hommes étaient équipés pour pouvoir affronter n’importe lequel des environnements dans lesquels la poursuite pourrait les conduire. Murchison avait également voulu les suivre — elle désirait être présente pour la curée, avait-elle déclaré — mais Conway lui avait répondu sèchement que son travail consistait à surveiller les trois malades AUGL et qu’elle devrait s’en contenter.

Il n’avait pas eu l’intention de se montrer brutal, mais il était à bout. Si le plan dont il avait fait part avec enthousiasme à O’Mara devait échouer, les risques étaient grands pour qu’il y eût deux SRTT incurables au lieu d’un seul, et « À la curée, » avait constitué un choix de mots malheureux.

Le fugitif avait adopté un aspect vaguement humain, par un mécanisme de défense déclenché à la vue de ses poursuivants. Il courait lourdement dans les coursives sur des jambes trop molles aux articulations mal disposées, tandis que le tégument d’écailles couleur sable dont il s’était revêtu à l’intérieur du réservoir AUGL se contractait, se crispait, et s’effaçait pour prendre les teintes rose et blanc de la chair humaine et d’une blouse de médecin. Conway pouvait regarder sans ciller les êtres les plus inimaginables qui souffraient des plus horribles maladies, mais la vision de ce SRTT qui essayait de devenir un être humain, l’obligea à faire des efforts pour ne pas rendre son déjeuner.

Le SRTT fit un bond de côté dans une coursive MSVK, ce qui prit ses poursuivants par surprise et eut pour résultat de provoquer une mêlée confuse au-delà de la porte intérieure du sas de communication. Les MSVK avaient trois pattes, ressemblaient vaguement à des cigognes, et ils vivaient sous une gravité relativement faible à laquelle les DBDG, tels que Conway, ne pouvaient s’adapter immédiatement. Mais tandis que le médecin se débattait toujours pour retrouver son assise dans une semi-apesanteur, l’entraînement spatial des Moniteurs permettait à ces derniers de se relever rapidement. Le SRTT se dirigeait à nouveau vers la section à l’atmosphère d’oxygène.

Conway pensa que les choses avaient failli mal tourner. La faible lumière et l’opacité de ce brouillard que les MSVK appelaient une atmosphère, auraient rendu les recherches extrêmement difficiles si le SRTT s’était trop éloigné. Si cela s’était produit à ce stade … Eh bien, Conway préférait ne pas y penser.

Mais la salle de jeux DBLF était à présent proche, et le SRTT courait dans sa direction. L’être changeait à nouveau d’aspect et devenait quelque chose de bas et de lourd qui courait sur quatre pattes : Il semblait se retirer en lui-même, se condenser, et un semblant de carapace se formait. Il était toujours ainsi lorsque deux Moniteurs qui hurlaient et gesticulaient, le chassèrent d’une intersection et le poussèrent dans le couloir qui donnait sur la salle de jeu … Et qu’ils trouvèrent absolument désert !

Conway jura. Une demi-douzaine de Moniteurs auraient dû barrer le couloir, pour lui bloquer le passage, mais le SRTT n’avait pas perdu de temps et ils n’étaient pas encore en place. Ils se trouvaient probablement encore dans la salle de jeu, où ils terminaient d’installer le matériel, et le SRTT passerait droit devant cette porte.

Mais Conway avait compté sans l’esprit éveillé et le corps agile de Prilicla qui avait compris quelle était la situation au même instant que lui. Le petit GLNO descendit le corridor en courant, et il rattrapa rapidement le SRTT, avant de bondir au plafond pour le dépasser et se laisser retomber sur le sol, devant lui. Conway voulut crier au fragile GLNO qu’il n’avait aucune chance de pouvoir barrer le passage à une créature dont les caractéristiques étaient à présent celles d’un crabe gigantesque, et qu’il courait au-devant d’une mort certaine. Puis il comprit quelles étaient les intentions de son assistant.

Trente mètres devant le SRTT, un chariot-civière à moteur était remisé dans une alcôve. Il vit Prilicla déraper et s’immobiliser à côté de l’appareil, avant de le mettre en marche. Prilicla n’avait pas été stupidement téméraire, il avait utilisé son cerveau, et rapidement, ce qui était préférable en raison des circonstances.

Le chariot porte civière s’ébranla et s’élança en zigzaguant dans le couloir, à la rencontre du SRTT. Il y eut un bruit métallique et un nuage de fumée jaune et noire comme les batteries du chariot sans pilote étaient fracassées et se mettaient en court circuit. Avant que les ventilateurs ne purifient l’air, les Moniteurs contournaient le fugitif hébété par le choc et presque immobile, et le poussaient vers la salle de jeu.

Quelques minutes plus tard un officier s’approcha de Conway. Il fit un signe de tête pour désigner l’ensemble disparate d’objets qui avaient été soigneusement empilés tout autour de la pièce. Des hommes vêtus de vert, alignés contre les parois, faisaient tous face au centre de la grande salle ou le SRTT tournait lentement sur lui-même, cherchant désespérément une issue. Le Moniteur semblait rongé par la curiosité, mais il prit une voix détachée pour demander :

— Docteur Conway, je présume ? Alors, docteur, que voulez-vous que nous fassions, à présent ?

Conway s’humidifia les lèvres. Jusque-là il n’avait guère réfléchi à cet instant. Il avait pensé qu’il n’éprouverait pas de scrupules envers le jeune SRTT, parce qu’il constituait une grave menace pour l’hôpital, et qu’il avait provoqué tant d’ennuis dans sa propre section. Mais à présent il commençait à ressentir de la pitié pour ce gosse qui avait perdu la tête en raison d’un mélange de chagrin, d’ignorance, et de panique. Et si cela devait ne pas se dérouler comme il l’avait prévu ? …

Il repoussa ses doutes et dit durement :

— Vous voyez cette bestiole, au centre de la pièce. Eh bien, je veux que vous la rendiez folle de peur.


Il dut naturellement entrer dans les détails, mais les Moniteurs comprirent très vite ce qu’il désirait d’eux, et ils se mirent à utiliser le matériel avec ferveur et enthousiasme. Tout en observant sinistrement la scène, Conway identifia des pièces de rechange provenant du système d’alimentation en air, ou du service des communications, ainsi que divers ustensiles de cuisine. Et tous ces objets étaient utilisés dans un but pour lequel ils n’avaient absolument pas été conçus. Des choses émettaient des sifflements stridents, des hurlements de sirène à un volume monstrueux, et des Moniteurs se contentaient de frapper entre eux deux plateaux de métal. À ce bruit épouvantable s’ajoutaient les cris des hommes qui maniaient ces divers objets.

Il ne faisait aucun doute que le SRTT était effraye, et Prilicla commentait à chaque instant ses réactions émotionnelles. Mais il n’avait pas suffisamment peur.

— Silence ! hurla brusquement Conway. Passons à la seconde partie du programme !

Le vacarme précédent n’avait constitué qu’un prélude. À présent venaient les choses sérieuses, mais silencieuses, parce qu’ils devaient pouvoir entendre tous les sons émis par le SRTT.

Des fusées éclairantes jaillirent tout autour de la silhouette tremblante qui occupait le centre de la salle. C’était des fusées à l’éclat aveuglant, mais qui ne dégageaient qu’une chaleur négligeable. Simultanément, des rayons tracteurs et presseurs poussaient ou tiraient le SRTT. Ils le faisaient glisser en tous sens le sol, le projetaient par instant dans les airs ou l’écrasaient contre le plafond. Les rayons fonctionnaient sur le même principe que les ceintures gravitationnelles, mais ils pouvaient être contrôlés avec plus de précision, et leur focalisation était plus exacte. D’autres opérateurs de rayons commencèrent à diriger les fusées éclairantes vers la silhouette suspendue qui se débattait follement, pour les faire retomber ou dévier au tout dernier instant.

À présent, le SRTT était vraiment effrayé, à tel point que même les non-empathiques pouvaient percevoir sa peur. Les formes qu’il adoptait donneraient d’innombrables cauchemars à Conway, durant les semaines à venir.

Il porta un micro à ses lèvres et abaissa l’interrupteur.

— Y a-t-il des réactions, là-haut ?

— Rien pour l’instant, répondit la voix de O’Mara qui était retransmise par tous les haut-parleurs qui avaient été installés autour de la salle. Quoi que vous fassiez en ce moment, il va falloir pousser les choses plus loin.

— Mais cette créature est déjà plongée dans une extrême détresse … déclara Prilicla.

— Si vous ne pouvez pas supporter ce spectacle, vous n’avez qu’à sortir ! aboya Conway en se tournant vers son assistant.

— Calmez-vous, Conway, dit sévèrement O’Mara. Je sais ce que vous devez ressentir, mais pensez au but que nous poursuivons …

— Mais si nous n’obtenons pas de résultats … Oh, ne faites pas attention. — Conway se tourna à nouveau vers Prilicla, pour s’excuser, avant de s’adresser à l’officier qui se tenait près de lui. — Connaissez-vous un moyen sûr pour le faire craquer plus vite ?

— Je n’aimerais pas qu’on l’expérimente sur moi, mais je suggérerais de le faire tourner sur lui-même. Une rotation rapide peut démoraliser complètement certaines espèces oui peuvent supporter presque toutes les autres formes de pression …


On ajouta un mouvement rotatif aux coups que les rayons presseurs assénaient déjà au SRTT. Pas un simple tournoiement, mais un mouvement violent, rotatif et de tangage, dont la seule vue retournait l’estomac de Conway. Les fusées éclairantes plongeaient et s’abattaient autour du SRTT, comme des lunes folles autour de leur planète primaire. Nombreux étaient les hommes qui avaient perdu leur enthousiasme, et Prilicla tremblait et vacillait sur ses six jambes fines, étreint par un ouragan d’émotions qui menaçait de le détruire.

Il avait eu tort de mêler Prilicla à tout cela, pensa Conway avec colère. Aucun empathique ne devrait être obligé de subir une pareille torture. Il avait commis une erreur dès le début. Son idée était cruelle, sadique, et inutile. Il était pire qu’un monstre …

Dans les airs, au centre de la salle, la forme indistincte qui se tordait en tournoyant, commença à émettre un gloussement aigu et terrifié.

Un fracas épouvantable jaillit des haut-parleurs muraux : hurlements, cris, craquements, et bruits de pas qui couvraient ceux de quelque chose d’infiniment plus lent et plus lourd. Ils purent entendre la voix de O’Mara hurler une sorte d’explication à quelqu’un, puis une autre personne hurla :

— Pour l’amour de Dieu, arrêtez ! Le père du môme s’est réveillé et il va devenir complètement dingue …

Rapidement, mais avec douceur, ils firent ralentir puis stopper le mouvement tournant du SRTT, et ils le firent descendre jusqu’au sol. Ensuite, ils attendirent, tendus, tandis que les cris et les craquements qui leur parvenaient depuis la salle d’observation numéro trois atteignaient leur paroxysme puis s’apaisaient lentement. Autour de la pièce les hommes restaient immobiles. Ils s’observaient les uns les autres, regardaient la créature qui geignait, prostrée sur le sol, ou fixaient les haut-parleurs, attendant la suite. Elle ne se fit pas attendre.

C’était un gloussement identique à celui qui avait été diffusé sur le circuit de communications intérieures quelques heures plus tôt, mais sans l’accompagnement de parasites. Et parce que tous avaient branché leurs traducteurs, les paroles leur parvenaient également en anglais.

Le vieil SRTT avait retrouvé son intégrité physique, et il parlait en termes enfantins et rassurants à son enfant égaré. Il disait que le petit avait été polisson, qu’il devait cesser de vagabonder et de se mettre dans tous ses états, et que rien de désagréable ne lui arriverait plus s’il lui obéissait, et s’il suivait les instructions des êtres qui l’entouraient. Le SRTT termina en ajoutant que plus tôt il obéirait, plus tôt ils pourraient rentrer à la maison.

Conway savait que sur le plan mental, le fugitif avait été sérieusement ébranlé. Peut-être avait-il poussé les choses trop loin. Tendu par l’anxiété, il l’observait. La forme de l’être était encore imprécise, et il progressait en rampant sur le sol. Lorsqu’il commença doucement et avec soumission à donner de petits coups de tête contre les genoux d’un Moniteur, le cri de joie qui s’éleva faillit le faire replonger dans la terreur.


— Lorsque Prilicla m’a donné la clé qui permettait de comprendre ce qui affectait le vieil SRTT, j’ai su aussitôt que le traitement devrait être énergique, déclara Conway aux professeurs et aux diagnosticiens qui étaient regroupés autour du bureau de O’Mara.

Le fait qu’il fut assis en aussi auguste compagnie était un indice certain de l’approbation qu’il recevait, mais malgré cela il se sentait nerveux, lorsqu’il ajouta :

— Sa régression vers l’état fœtal, sa complète dissolution en des cellules indépendantes et non pensantes qui flottaient dans l’océan primordial, étaient déjà bien avancées. Peut-être trop, à en juger par son aspect. Le commandant O’Mara avait essayé sur lui divers traitements de choc qu’il pouvait ignorer ou annuler en raison de sa structure cellulaire fantastiquement adaptable. Mon idée était d’utiliser les liens émotionnels et physiques, qui, avais-je découvert, existent entre l’adulte SRTT et son dernier né.

Conway fit une pause et regarda rapidement autour d’eux. La salle d’observation numéro trois semblait avoir été dévastée par une bombe, et Conway savait que quelques minutes d’agitation frénétique s’étaient écoulées entre le moment où le vieil SRTT était sorti de son état comateux et celui où des explications lui avaient été fournies. Il s’éclaircit la voix avant d’ajouter :

— Nous avons donc bloqué le jeune SRTT dans la salle de jeu DBLF, et nous avons essayé de l’effrayer le plus possible, tandis que ses cris de frayeur étaient retransmis jusqu’à son parent qui se trouvait ici. Ça a marché. Le vieil SRTT n’a pas pu se désintéresser du sort de son dernier né, le plus aimé de ses enfants, qui courait apparemment le plus horrible des dangers. L’inquiétude parentale et l’amour ont englouti et détruit sa psychose, et l’ont obligé à revenir au présent et à la réalité. Il a pu apaiser son enfant, et toutes les personnes concernées sont à présent heureuses.

— Un excellent travail de déduction, docteur, dit avec chaleur O’Mara. Vous méritez des félicitations …

Il fut interrompu par l’interphone. Murchison informait le Dr. Conway que les premiers signes de calcification commençaient à apparaître sur les trois bébés AUGL, et elle lui demandait de descendre immédiatement. Conway demanda une bande AUGL pour Prilicla et pour lui-même, expliquant que c’était urgent, alors que les diagnosticiens et les professeurs commençaient à quitter la salle. Quelque peu dépité, Conway pensa que l’appel de Murchison l’avait privé du plus grand moment de sa vie.

— Ne vous en faites pas, docteur, dit joyeusement O’Mara qui lisait à nouveau dans son esprit. Si cet appel était arrivé quelques minutes plus tard, votre tête aurait été trop enflée pour que je puisse y appliquer les électrodes.


Ce fut deux jours plus tard que les docteurs Conway et Prilicla eurent leur premier et unique conflit d’opinion. Le Terrien affirmait que sans la faculté d’empathie de Prilicla, un instrument de diagnostic incroyablement précis et utile, et la vigilance de Murchison, la guérison des trois AUGL eût été impossible. Le GLNO affirmait que, bien qu’il fût contre sa nature de s’opposer à ses supérieurs hiérarchiques, le docteur Conway se trompait sur toute la ligne. Murchison, quant à elle, affirma qu’elle était heureuse d’avoir pu être utile, et elle demanda la permission de se retirer.

Conway accepta, puis il reprit sa dispute avec Prilicla, bien qu’il sût qu’il était inutile espérer avoir le dessus.

Il savait que sans l’aide de l’empathique il n’aurait pu sauver le troisième nourrisson AUGL, qu’il n’aurait pu en sauver aucun, en fait. Mais il était le patron, et lorsqu’un patron et ses assistants accomplissent quelque chose, le crédit en revient toujours au plus haut placé.

La dispute, si on peut employer ce mot pour désigner un désaccord purement amical, dura des jours. Tout allait bien dans leur service, et ils n’avaient aucun sujet réel de préoccupation. Ils ignoraient que l’épave d’un vaisseau était remorquée vers l’hôpital, et qu’elle contenait un naufragé.

Conway ignorait également que moins de deux semaines plus tard, tout le personnel de l’hôpital le mépriserait.

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