Les toilettes continuent à se montrer éminemment bourgeoises; on croirait que c'est jyjme Prudhomme qui donne le ton.

Les tristes et mesquins chapeaux en petit cabriolet, fermés sous le menton avec de petites brides, régnent sans conteste, il n'y a pour ainsi dire qu'une forme unique, à bavolet, sans autres ornements que des rubans sans grâce. La robe n'a pas la moindre ornementation non plus, le corsage est très long, la jupe droite. Sur ces toilettes plates on porte au dehors des mantelets et des châles.

Ce sont ces toilettes, très sobres et très effacées, que le second Empire va trouver à ses débuts et qu'il transformera peu à peu en un costume à grand fla-fla trè& compliqué, très chargé et surchargé, mais plus que discutable

PARISIENNE 1835.


comme goût et même tout à fait dépourvu de style, sauf dans quelques trouvailles heureuses qui ne durèrent pas, vers 1864.

La grande pensée du règne, — côté modes, — la grande innovation qui va donner le la

Chapeau 1848.


aux toilettes, c'est la crinoline, — honnie, attaquée, vilipendée par vaudevillistes, journalistes, caricaturistes, par les maris, par tout le monde, c'est la crinoline triomphante de toutes les clameurs, de toutes les moqueries, comme de tous les justes reproches:

On peut bien dire que sous l'Empire la femme a tenu trois ou quatre fois plus de place dans le monde — au moins en circonférence

— qu'aux époques précédentes, plus même que sous Louis XV de peu vertueuse mémoire, la crinoline ayant régné bien plus despotiquement que les paniers, puisque les femmes de toutes classes durent l'adopter et que les filles des champs ne se crurent pas habillées le dimanche à moins de ballonner comme les dames de la ville avec la cage en cercles d'acier.

Les tournures et les jupons bouillonnes en étoffe de crin ont habitué peu à peu les yeux à l'élargissement des jupes, et lorsque la crinoline sans armature est délaissée pour les cerceaux en ressorts d'acier et pour la crinoline cage, à cercles et à montants d'acier, les dames trouvent ce ballonnement charmant et la crinoline fait le tour du monde.

Il est bien inutile d'insister sur ses nombreux inconvénients qu'on a encore dans la mémoire, sur la gêne qu'elle imposait, mais au point de vue esthétique, la crinoline doit être solennellement anathématisée, excommuniée, ridiculisée à jamais... c'est-à-dire jusqu'au jour où elle reviendra sous un autre nom.

Il est vrai que les jupes s'arrondissant en coupoles flottantes sur ces crinolines'si décriées, et que tout l'ensemble de la toilette étaient

La Crinoline.


ornés d'une façon lourde et gauche de petits détails mesquins appliqués sur de tristes étoffes, tandis que les paniers du xviii° siècle ont eu pour eux une ornementation plus artiste des jupes et des toilettes taillées dans les belles étoffes à ramages. Leurs exagérations et leurs ridicules avaient de la grâce, tandis que les jupes, à crinoline ne rachetaient par rien leur gauche balonnement. Un peu surfaites, les suprêmes élégances de l'Empire!

Avec ces crinolines boursouflées et envahissantes, que portent toutes les femmes du second Empire, on peut rappeler le talma, le burnous, manteau algérien assez coquet, \q?> pince-taille en soie gros grain à manches pagodes, — oh ! les manches pagodes ! entonnoir disgracieux et incommode compliqué de dentelles ou d'effilés !

Il faut noter surtout les châles, le fameux cachemire de l'Inde et le grand châle tapis.

Le châle, dont on a si longtemps célébré l'élégance (?), n'a vraiment quelque grâce que lorsqu'il est petit, étroit presque comme une écharpe, et lorsqu'il est porté avec irrégularité et désinvolture. Que dire du grand châle posé sur les épaules comme sur un portemanteau et tombant droit en dissimulant la taille et la toilette de la femme, sinon qu'en réalité ce châle-manteau est un vilain vêtement et qu'il ne va tout au plus qu'aux fruitières endimanchées.

On peut encore signaler les capelines parmi les inventions commodes, et les vestes zouaves,

Chapeau second Empire.


les rouges garibaldis et les figaros, parmi les nouveautés gracieuses de l'époque.

Le chapitre des chapeaux n'est pas bien brillant. Jusque vers 1863, ce sont toujours les grandes capotes de cabriolets, avec bavolets, avec fleurs dans l'intérieur de la passe et au-dessus; cette coifl'ure, c'est en somme le grand chapeau de la Restauration, abîmé, ridiculement arrangé, finissant tristement ses derniers jours.

Voilà donc le luxe elTréné tant reproché aux femmes par le président Dupin, dans la fameuse brochure qui fît sensation en 1865, — le luxe débordant les jours de Grand Prix dans la grande Ville, roulant de l'hippodrome de Longchamps tout le long des boulevards, le luxe qui, paraît-il, faisait de Paris une Byzance décadente, scandalisait Thonnète bourgeoise en petit châle, et faisait monter le rouge aux joues du reste de la vertueuse Europe, vouée encore à la simplicité naïve et pratiquant le culte de sainte mousseline à dix sous le mètre.

Effréné peut-être, ce luxe corrupteur et effrayant, mais peu artistique, d'un goût médiocre et donnant à très grands frais l'impression du clinquant.

Bien que le recul ne soit pas encore suffisant pour le juger, pour apprécier les modes de ce temps dans leur ensemble, sans se laisser influencer par la pointe de ridicule qui s'attache au démodé, il semble cependant qu'au siècle prochain les femmes et les artistes le jugeront à peu près ainsi. Nous ne voyons pas les peintres élégants d'alors ressuscitant dans leurs tableaux les modes de 1860, pour la joie des mondaines et des américains vingtième siècle.

Cependant la vogue des bains de mer qui se

Pince-taille.


dessine de plus en plus et qui deviendra bientôt une migration annuelle et régulière de toute la bourgeoisie vers les plages normandes ou bretonnes, cette habitude des excursions estivales amène quelques gracieux changements dans la mode.

Un instant vers 1864, triomphe la mode des robes courtes née sur les plages élégantes. Plus de jupes traînantes, ou de robes longues à larges volants. On conserve la crinoline, m peu modérée dans son envergure, mais on drape et on arrange les jupes, avec des relevés, des plissés, avec une grande variété d'ornements appliqués, ornements très larges d'un bon effet.

La fantaisie, étouffée depuis 1830, reparaît. Ces très cavalières jupes courtes laissent voir les bottines très luxueuses et très ornées, les fines petites bottes très montantes dont on fait sonner les hauts talons. — Un instant même quelques élégantes des plages à la mode prennent la grande canne Louis XIIL

On voit aussi de jolis vêtements très amples, à larges manches, et des pardessus dits SaïUe-en-barqiœ. Les chapeaux bien différents du cérémonieux chapeau fermé et très crânement portés un peu sur le côté, sont des espèces de coiffures de Toreros, ornés, de gros pompons ou de plumes. La coiffure de l'époque est basse, avec un crêpé sur le front, les cheveux'tombant dans le dos massés dans un filet.

Les jupes courtes, si gracieuses avec la crinoline, avec les hautes ceintures à boucles, et tous les ornements, ganses et soutaches dont

MODES DE PLAGE 1864.


on couvre alors le costume, sont bientôt vaincues par un retour offensif des robes longues.

ijranil manteau Empire.


et la mode perd tout de suite ses allures cavalières.

La crinoline elle-même tombe un instant en 1867, au moment des jupes plates et traînantes, des corsages péplums, nés dun retour de goijt pour la tragédie, dont on déclame de fragments au Café-Concert, au moment des petits chapeaux assiettes, posés sur le front devant le gros chignon relevé en boule, coiffures que viennent compléter les rubans flottant dans le dos et appelés du nom expressif de : tt Suivez-moi jeune homme. »

... Et la bataille continue entre les jupes larges et les jupes étroites, la crinoline a battu de l'aile pendant quelques années et finalement elle est morte. La crinoline à grands cerceaux est maintenant du domaine de l'archéologie c'est une antiquité, comme le panier, comme le vertugadin.

Comme on voulait encore de l'ampleur, on l'a remplacée par des poufs, de très volumineux paquets d'étoffes, relevés par derrière sur les jupes,

Puis sur le chemin de la réaction anti-crinolinienne, on a été en diminuant peu à peu la largeur des jupes jusqu'aux robes moulées sur le corps, au collant qui a duré deux ou trois ans, vers 1880. Les modes étaient alors fort jolies, très esthétiques. Puis un petit soupçon de gonflement s'est produit, on s'est élargi un peu, on a bien vite adopté les tournures....

Mais cette mode des robes collantes nous a laissé les corsages en jersey qui moulent très gracieusement le corsage et les hanches. Le jersey vite adopté convient admirablement aux toilettes de promenade et de campagne.

Pendant quelques étés d'un bout de l'Europe à l'autre, sur toutes les plages d'Angleterre, de France et d'ailleurs, le Jersey fut l'uniforme obligatoire; femmes, jeunes filles, enfants, garçons ou fillettes, tous furent en jerseys bleu foncé, agrémentés d'ancres d'or, tous en matelots. Les enfants gardent encore ce vêtement gracieux et commode et voici que les hommes, — touristes et vélocipédistes — l'adoptent.

Le temps est passé des édits somptuaires et des gouvernants légiférant sur le luxe pour enrayer ses débordements. On a vu, de Philippe le Bel à Richelieu, la longue série de ces édits; avant de tomber à l'oubli, ils furent pourtant presque toujours appliqués rigoureusement d'abord, même par des rois qui mettaient le Trésor à sec pour les somptuosités de leur cour, comme Henri III par exemple, le mignon fanfreluche, qui lors d'un de ses accès de répression du luxe des autres, lit jeter en prison au fort l'Évèque en un seul jour une trentaine de femmes et non des moindres de Paris, coupables d'avoir bravé les prohibitions du brocart et de la soie.

Ce temps des prohibitions somptuaires. des ordonnances royales sur les modes n'est plus. Dans l'intérêt général de l'industrie et du commerce, tout ce qui peut développer le grand luxe doit être aujourdliui recherché et favorisé.

C'est le petit luxe qui devrait être au contraire réprimé s'il était possible, ou plutôl

Ah ! si la mode plus puissante que les rois et les ministres, que les arrêts, les lois et les édits, si la mode dont les ordonnances sont sans appel, avait pu décréterla conservation des anciens costumes féminins de nos provinces.des modes locales souvent si gracieuses, des élégances campagnardes, auxquelles la ville a si

Robe collante 1880.


souvent fait des emprunts, des façons dérobes, des mantes, et aussi des coiffures si variées, coiffes bressannes, casques de dentelles du pays de Caux, grandes coiffes bretonnes, bonnets l'arlésiennes. etc.. Quel sauvetage!

Mais non, tout cela est parti, toutes ces jolies choses ont disparu devant l'envahissement d'un faux luxe mesquin, caricature sans goût des élégances parisiennes, devant les confections uniformes et informes, fabriquées à la centaine et portées jusque dans les plus lointains cantons î...

Partout, hélas, les jolies modes locales, les élégances particulières et régionales, ont cédé pour jamais la place à des attifements souvent prétentieux et ridicules...

Le « costume » des campagnes en toute province est évanoui, envolé, perdu, c'est à la « 7node » des villes, de nous indemniser en élégance vraie et en grâce.

La mode est aujourd'hui dans une période de transition et de tâtonnements, elle cherche, elle essaie, à défaut de nouveautés nouvelles, des imitations des nouveautés d'autrefois, — ayant suffisamment vieilli, comme disait la couturière de l'impératrice Joséphine.

On va des imitations des coupes Louis XVI ou Empire à des ajustements Valois, aux corsages Louis XIII, aux manches moyen âge ou bien aux manches à gigot 1830... Nous verrons ce qui sortira de ces tentatives et de ces essais et si comme il arrive dans tous les arts, il en sera de l'art de la toilette comme des autres, si le neuf naîtra de l'étude de l'ancien.

Souhaitons qu'une mode originale, fin de siècle suivant l'expression à la mode, se dégage enfin, pour qu'un jour les petites filles des élégantes de ces dernières années du xix'' siècle, puissent se figurer leurs aïeules sous des ajustements bien à elles, bien personnels, autrement enfin qu'en toilettes empruntées à tous les âges.


TABLE DES CHAPITRES

I.- BALLADE DES MODES DU TEMPS JADIS

il

Le vieux neuf. — L'horloge de la mode. — Feuilles dans les cartons du passé.—Quelle est la plus jolie mode? — Mode et architecture. — Vêtements de pierres et vêtements d'étoffes. — La poupée costumée, journal des modes du moven àofe '•)

III. - MOYEN AGE

Les Gauloises teintes et tatouées. — Premiers corsets et premières fausses nattes. — Premiers édits somptuaires. — Influence byzantine. — Bliauds, surcots, cottes hardies. — Les robes historiées et armoriées. — Les ordonnances de Philippe le Bel. — Hennins et Escof-fions. — La croisade contre les Hennins de frère Thomas Connecte. — La dame de Beauté 23

IV. — LA RENAISSANCE

Modes en largeur.—Hocheplis, _vertugalles, vertugadins. — La belle Ferronnière. — Éventails et manchons. — Les modes tristes de la Réforme. — L'escadron volant de Catherine. — Dentelles et guipures.— Les services du vertugadin. — Le masque et le touret de nez. — Fards et cosmétiques 53

V. - HENRI III

La cour du Roi-Femme, — Les grandes fraises plissées, godronnées ou en cornets. — Les femmes-cloches. — Les grandes manches. — Horribles méfaits du corset. — La reine Margot et ses pages blonds 76

VI. — HENRI IV ET LOUIS XIII

Retour à une simplicité relative. — Les femmes tours.

— Hautes coiffures. — Excommunication du décolletage.

— Les robes à grands ramages de fleurs. — Collets montés et collets rabattus. — Tailles longues. — Les édits de Richelieu. — La dame suivant Tédit. —Tailles courtes 91

VII.:- SOUS LE ROI-SOLEIL

Les héroïnes de la Fronde. — De la Vallière à la Mainte-non. — Les robes dites transparentes. — Triomphe de la dentelle. — Le roman de la mode. — Les Steinquerques. — La coiffure à la Fontanges. — Le règne de M"' de Maintenon ou trente-cinq ans de morosité 112

VIII. — XVIir SIECLE

La Régence. — Folies et frivolités. — Cythère à Paris. — Les modes Watteau. — Les robes volantes. — Naissance des paniers. — Criardes, Considérations et Maîtres des requêtes. — M""" de Pompadour. — L'éventail. — Promenade de Longchamps. — Carrosses et chaises à porteurs. — Modes d'hiver 130

IX. -XVIir SIÈCLE. - LOUIS XVI

Les coiffures colossales. '— Le pouf au sentiment. — Parcs, jardins potagers et paysages animés de figures sur les tètes. — La coiffure à la Belle-Poule. — Les mouches. — Modes champêtres. — Les robes négligentes. — Couleurs à la mode. — Le monument du costume. — Les amazones. — Modes anglaises. — Les bourgeoises 150

X. — LA RÉVOLUTION ET L'EMPIRE

Modes dites à la Bastille. — Modes révolutionnaires. — Notre-Dame de Thermidor. — Incroyables et merveilleuses. — L'antiquité à Paris. — Athéniennes et Romaines. — Une livre de vêtements. — Tuniques diaphanes. — Maillots, bracelets et cothurnes. — Le réticule ou ridicule. — Le bal des Victimes. — Perruques blondes et oreilles de chien. —• A la Titus. — Les robes-fourreau. — Petits bonnets et Chapeaux-Shakos. — Les turbans 178

MESDAMES NOS AÏEULES

XI. -LA RESTAU RAT ION ET LA MONARCHIE DE JUILLET

Manches bouffantes, manches à gigot. — Les collerettes. — Modes à la girafe. — ^ Les coiffures et les grands chapeaux. — 1830. — Epanouissement des modes romantiques. — Les derniers bonnets. — 18 iO. — Chastes bandeaux. — Modes Juste-milieu. . . . 20S

XII. - EPOQU E MODERNE

I8i8.—Des révolutions partout, excepté dans le royaume de la mode. — Règne imiversel de la crinoline. — Les châles cachemire. — Tdlmas, burnous, pince-tailles. — Modes de plages. — Robes courtes. — Saute-en-barque.— Jupes larges et jupes étroites.— Les modes collantes. — Poufs et tournures. — Modes Valois. — Erudition plus qu'imagination. — On demande une mode fin de siècle 231


TABLE DES DESSINS HORS TEXTE

Toilette de bal Restauration Frontispice

Noble dame fin du xn'*" siècle 17

Robe et houppelande historiées xv^ siècle 33

Châtelaine milieu du xv^ siècle 41

Dame sous Charles YIII 49

A la cour du Roi-Chevaliei' 57

Sous Henri II 65

Dame du temps de Charles IX 73

Toilette de cour Henri III 81

Grande toilette Médicis 89

Dame Louis XIII 97

Fin du règne de Louis XIII 105

A la cour du Roi-Soleil 113

Sous le Grand Roi. — Fin du xvir siècle. .. 121

Sous la Régence 129

Toilette de cour Louis XV 137

Grands paniers Louis XVI 153

Parisiennes 1789 161

Promenade parisienne 1790 169

Merveilleuse en tunique à la grecque 177

Merveilleuse du Directoire 185

Premier Empire 193

Parisienne de 1810 201

Parisienne 1814 209

Une élégante aux Champs-Elysées. — Restauration 217

Toilettes d'intérieur 1830 225

Parisienne 1835 233

Modes de plage 1864 241

EVItKLX. IMPRlMtltlE DE CHARLES HEKISSEY

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