Robert Silverberg Le remissionnaire

« K seize, Logement Omicron Kappa, aleph premier inférieur », j’ai dit au logiciel de service à la porte Alhambra du Mur de Los Angeles.

Les logiciels ne sont généralement pas soupçonneux. Celui-ci n’était pas un logiciel très intelligent. Il mettait à contribution des biopuces super-performantes – je les sentais gigoter et palpiter tandis que le flot d’électrons les traversait – mais le logiciel lui-même n’était qu’un rafistolage. Le genre de camelote typique pour garder les portes.

J’attendais pendant que s’égrenaient par millions les picosecondes.

« Nom, s’il vous plaît, a dit enfin le gardien.

— John Doe. Bêta Pi Epsilon 104324x. »

La porte s’est ouverte. Je suis entré dans Los Angeles.

Simple comme Bêta Pi.


Le mur qui entoure L.A. fait dans les trente, quarante mètres d’épaisseur. Ses portes sont plutôt des tunnels. Quand on considère que le mur entoure entièrement la cuvette de L.A., de la vallée de San Gabriel à celle de San Fernando, où, franchissant les montagnes, il redescend le long de la côte pour boucler la boucle une fois passé Long Beach, et qu’il fait au moins dix-huit mètres de haut et s’enfonce d’autant dans le sol, on commence à apprécier la masse qu’il représente. Que l’on pense à la formidable dépense d’énergie humaine qu’a nécessitée sa construction – à ce qu’il a fallu de muscle et de sueur, de sueur et de muscle. C’est une pensée qui me sollicite beaucoup.

Je suppose que les murs qui entourent nos cités ont été mis là surtout à titre de symboles. Ils soulignent la distinction entre ville et campagne, citoyen et non-citoyen, ordre et chaos, exactement comme le faisaient les murs d’enceinte il y a cinq mille ans. Mais ils servent principalement à nous rappeler qu’aujourd’hui nous sommes tous des esclaves. Impossible de faire comme s’ils n’étaient pas là. Nous vous les avons fait construire, voilà ce qu’ils disent, ne vous avisez pas de l’oublier. N’empêche que Chicago n’a pas un mur de dix-huit mètres de haut et quarante d’épaisseur. Houston non plus. Phoenix pas davantage. Ils se débrouillent avec moins. Mais L.A. est la plus importante des cités. Je suppose que le mur de Los Angeles est une déclaration : Je suis le Gros Fromage. Je suis celui qui est.

Les murs ne sont pas là parce que les Entités craignent d’être attaquées. Elles savent à quel point elles sont invulnérables. Nous le savons aussi. Elles voulaient simplement décorer leur capitale d’une façon un peu particulière. Merde, ce n’est pas leur sueur qui a coulé pour bâtir ces murs, c’est la nôtre. Pas la mienne personnellement, bien sûr. Mais la nôtre.

J’ai vu quelques Entités aller et venir à l’intérieur du mur, préoccupées comme d’habitude par Dieu sait quoi et ne prêtant aucune attention aux humains alentour.

C’étaient des individus de caste inférieure, de ceux qui ont des taches orange luminescentes sur leurs flancs. Je me suis soigneusement écarté de leur passage. Il leur arrive parfois d’attraper un humain avec ces longues langues élastiques, comme une grenouille happant une mouche, et de le tenir suspendu en l’air pendant qu’ils l’examinent avec ces yeux jaunes grands comme des soucoupes. Je n’en fais pas une affaire. On s’en tire sans mal, mais il n’est pas agréable d’être tenu en l’air par quelque chose qui ressemble à un calmar pourpre de quatre mètres cinquante campé sur le bout de ses tentacules. La chose m’est arrivée une fois à St. Louis, il y a longtemps de cela, et je ne suis pas pressé de renouveler l’expérience.

Ma première tâche, une fois à l’intérieur de L.A., a consisté à me trouver une voiture. Sur Valley Boulevard, à environ deux rues du mur, j’ai repéré une Toshiba El Dorado 31 à ma convenance. Je me suis mis au diapason des fréquences de la serrure, me suis glissé à l’intérieur, et il m’a fallu environ quatre-vingt-dix secondes pour reprogrammer son système de pilotage en fonction de mes signaux métaboliques personnels. La propriétaire antérieure devait être grosse comme un hippopotame et probablement diabétique : son taux de glycogène était extravagant et ses phosphines en plein délire.

Pas mal comme bagnole, des reprises un peu lentes mais que peut-on espérer si l’on considère que c’est en 2034 que l’on a cessé de fabriquer des voitures sur cette planète ?

« Pershing Square », lui ai-je lancé.

Elle avait une bonne capacité – peut-être 60 mégabytes. Elle a tout de suite viré vers le sud, a trouvé la vieille autoroute et filé vers le centre. Je comptais ouvrir boutique en cours de route, bricoler deux ou trois rémissions histoire de garder la main, m’offrir une chambre d’hôtel, un bon repas, peut-être engager de la compagnie. Et aviser ensuite. C’était l’hiver, la bonne saison pour un séjour à L.A. Ce soleil doré, ces brises tièdes qui circulaient dans les canyons…

Il y avait des années que je n’étais pas venu sur la côte. Je travaillais surtout en Floride, au Texas, parfois en Arizona. Je déteste le froid. Je n’étais pas venu à L.A. depuis 36. Un bail, mais c’était peut-être intentionnellement que j’avais évité le coin. Je n’en étais pas sûr. Mon dernier voyage à L.A. m’avait laissé de mauvais souvenirs. Il y avait une femme qui voulait une rémission et je lui avais vendu du vent. Il faut arnaquer les clients de temps en temps, sinon on commence à vous juger trop fort, ce qui peut être dangereux ; mais elle était jeune, jolie, pleine d’espoir, et j’aurais pu arnaquer le client suivant plutôt qu’elle, sauf que je ne l’avais pas fait. Il m’est plus d’une fois arrivé de me sentir mal dans ma peau en y repensant. C’est peut-être ce qui m’avait tenu éloigné de L.A. tout ce temps.

À deux ou trois kilomètres du grand échangeur du centre la circulation a commencé à se bloquer. Peut-être un accident, peut-être un barrage routier. J’ai ordonné à la Toshiba de quitter l’autoroute.

Se faufiler à travers les barrages est périlleux et nécessite un travail d’enfer. Je savais que je pouvais probablement duper n’importe quel genre de logiciel à un barrage et certainement n’importe quel flic humain, mais à quoi bon se compliquer l’existence ?

J’ai demandé à la voiture où nous nous trouvions.

L’écran s’est allumé. Alameda près de Banning, m’a-t-il annoncé. Ce qui faisait à vue de nez un long chemin à pied jusqu’à Pershing Square. Je me suis fait déposer à Spring Street et j’ai continué à pied. « Reprends-moi à dix-huit heures trente, j’ai dit à la voiture. Au coin de… hmmm… la Sixième et de Hill. » Elle est partie se garer et j’ai pris la direction du square pour placer quelques rémissions.


Il n’est pas difficile pour un bon rémissionnaire de trouver des acheteurs. On voit ça dans leurs yeux : la colère rentrée, le ressentiment qui couve. Et quelque chose d’autre, quelque chose d’intangible, la vague impression d’avoir gardé un petit reste d’intégrité, qui vous dit tout de suite : voilà quelqu’un qui est prêt à risquer gros pour regagner un peu de liberté. J’étais sur la brèche en moins d’un quart d’heure.

Le premier que j’ai repéré était une espèce de surfer sur le retour, torse puissant et cet air d’avoir été délavé par le soleil. Il y a dix, quinze ans que les Entités ont interdit le surfing – elles ont leurs seines à plancton tout le long du littoral, de Santa Barbara à San Diego, qui pompent les éléments nutritifs dont elles ont besoin, et tout amateur qui essaierait d’aller taquiner les vagues serait aussitôt réduit en bouillie. Mais ce type devait avoir été un sacré champion en son temps. À la façon dont il se déplaçait dans le parc, avec de petits gestes d’équilibriste, comme s’il avait besoin de compenser les irrégularités de la rotation terrestre, on pouvait voir ce qu’il aurait donné dans l’eau. Il s’est assis près de moi et a attaqué son déjeuner. Des avant-bras épais, des mains noueuses. Un ouvrier du mur. Des crispations dans les muscles des joues : la colère en train de frémir juste au-dessous du point d’ébullition.

Au bout d’un moment, je l’ai fait parler. Un surfer, oui. Perdu dans le lointain, absent. Il a commencé à soupirer sur des plages légendaires où les vagues étaient de véritables tubes, porteurs d’un bout à l’autre. « Trestle Beach, a-t-il murmuré. C’est au nord de San Onofre. Il fallait traverser le camp de Pendleton en douce. Des fois les Marines ouvraient le feu, juste à titre d’avertissement. Ou Hollister Ranch, au-dessus de Santa Barbara. » Ses yeux bleus se faisaient brumeux. « Huntington Beach. Oxnard. Je suis allé partout, mon vieux. » Il a refermé ses énormes doigts. « À présent la côte appartient à ces putains d’Entités et à leur bidules. Vous vous rendez compte ? Elle leur appartient. Et me voilà affecté au mur, pour la seconde fois, sept jours par semaine pour les dix ans à venir.

— Dix ans ? j’ai fait. C’est pas de la tarte.

— Vous en connaissez beaucoup pour qui c’est de la tarte ?

— Quelques-uns. Ils se font dispenser.

— Mouais.

— Ça peut se faire. »

Regard méfiant. Allez savoir si vous n’avez pas affaire à un borgmann. Ces fumiers de collaborateurs sont partout.

« Vraiment ?

— C’est seulement une question d’argent.

— À condition de trouver un rémissionnaire.

— C’est vrai.

— À qui on puisse se fier. »

J’ai haussé les épaules. « Vous ne pouvez qu’y aller de confiance, mon vieux.

— Mouais. » Puis, un moment après : « J’ai entendu parler d’un mec, il a acheté une rémission de trois ans avec un passage du mur en prime. Il est allé vers le nord, a pris un chalutier à crevettes et a fini en Australie, sur le récif. Personne ne le trouvera jamais là-bas. Il est en dehors du système. Complètement en dehors de ce putain de système. Qu’est-ce que vous croyez que ça a coûté ?

— Dans les vingt mille.

— Hé ! pas mal deviné !

— Je n’ai pas deviné.

— Tiens donc ? » Nouveau regard méfiant. « Vous n’avez pas l’air d’être d’ici.

— Exact. Je suis seulement de passage.

— C’est toujours le même prix ? Vingt mille ?

— Je ne peux rien faire pour ce qui est de fournir des chalutiers. À vous de vous débrouiller une fois de l’autre côté du mur.

— Vingt mille rien que pour franchir le mur ?

— Et une exemption de sept ans de travail.

— J’en ai attrapé dix.

— Je ne peux pas vous en avoir dix. Ça n’entre pas dans la configuration, vous me suivez ? Mais sept, ça marcherait. Vous pourriez aller si loin en sept ans qu’ils perdraient votre trace. Bon sang, vous pourriez aller en Australie à la nage ! Arriver au ras des flots, au-dessous de Sydney ; il n’y a pas de seines là-bas.

— Vous en savez des choses.

— C’est mon boulot de savoir. Vous voulez que je vous soumette à une vérification d’avoir ?

— Je vaux dix-sept mille cinq. Quinze cents en numéraire, le reste en nantissement. Qu’est-ce que je peux avoir pour dix-sept mille cinq ?

— Exactement ce que j’ai dit. Un passage de l’autre côté du mur et une exemption de sept ans.

— Un tarif d’ami, hein ?

— Je prends ce que je peux obtenir. Donnez-moi votre poignet. Et ne vous en faites pas. À ce point, il ne s’agit que d’une petite lecture. »

J’ai ajusté son implant de données et y ait adapté le mien. Il avait quinze cents en banque et un nantissement évalué à seize mille, exactement comme il l’affirmait. Nous nous observions attentivement. Comme je l’ai dit, on ne sait jamais où sont les borgmanns.

« Vous pouvez faire ça ici, dans le parc ? a-t-il demandé.

— Sans problème. Laissez-vous aller en arrière, fermez les yeux, comme si vous faisiez une petite sieste au soleil. Le marché est le suivant : je prends toute de suite mille sur vos disponibilités immédiates et vous me transférez cinq mille de vos dollars subsidiaires, à titre d’engagement réciproque. Quand vous aurez passé le mur j’encaisse les cinq cents de reste en liquide et cinq mille de plus sur vos placements. Vous payez le reste à raison de trois mille par an plus les intérêts, où que vous soyez, par virements trimestriels. Je programmerai tout ça, y compris les bips de rappel aux échéances. Et souvenez-vous, à vous de prendre vos dispositions pour ce qui est du voyage. Je peux accorder des rémissions et ménager des passages à travers le mur, mais je suis pas une connerie d’agence de voyages. C’est une affaire qui marche ? »

Il a renversé la tête en arrière et fermé les yeux.

« Allez-y. »

Ce n’était plus qu’une question de doigté, du travail de routine. J’ai relevé tous ses codes d’identification, les ai communiqués au central, ai trouvé son fichier. Il avait l’air vrai, rien de plus ni rien de moins que ce qu’il avait affirmé. Effectivement, il avait décroché la timbale question taxe de travail, dix ans sur le mur. Je lui ai concocté une rémission pour les sept premières années. Obligé de laisser les trois dernières sur les registres pour des raisons purement techniques, mais les ordinateurs ne seraient pas en mesure de le retrouver d’ici là. Je lui ai donné aussi un sauf-conduit pour passer le mur, ce qui signifiait l’insertion d’une nouvelle catégorie de compétences dans son fichier : programmeur au troisième échelon. Il ne pensait pas comme un programmeur et n’en avait pas davantage l’apparence, mais le logiciel du mur ne s’en rendrait pas compte. J’avais désormais fait de lui un membre de l’élite humaine, de cette poignée (relativement parlant) d’entre nous qui est libre d’entrer dans les cités fortifiées et d’en sortir à sa guise. En échange de ces petits services j’ai réparti les économies de toute son existence sur divers comptes dont j’étais titulaire, le tout payable comme convenu, une partie immédiatement, le reste plus tard. Il ne valait plus un centime, mais il était libre. Ce n’était pas une si mauvaise tractation.

Et ma dispense était valable ! J’avais décidé de renoncer aux arnaques tant que j’étais à Los Angeles. En expiation, pour ainsi dire, de ce que j’avais fait jadis à cette femme.

On est absolument obligé de pigeonner le client de temps en temps, comprenez-vous. De façon à ne pas paraître trop fort, de façon à ne pas donner aux Entités une raison de vous traquer. Tout comme on est obligé de limiter le nombre de rémissions que l’on fabrique. Je n’étais pas obligé de bidouiller des rémissions, bien sûr. J’aurais simplement pu autoriser le système à me payer tant par an, cinquante mille, cent mille, et me la couler douce le restant de mes jours. Mais quel défi y a-t-il là-dedans ?

Je rédige donc des rémissions, mais pas plus que nécessaire pour couvrir mes dépenses, et j’en sabote délibérément un certain nombre, passant ainsi pour aussi incompétent que les autres afin que les Entités n’aient aucune raison de se mettre à la recherche des marques d’identification de mon travail. Ma conscience n’en a jamais trop souffert. C’est une question de survie, après tout. Et la plupart des autres rémissionnaires sont de parfaits charlatans, voyez-vous. Avec moi, au moins, vous avez plus qu’une chance sur deux d’obtenir ce pour quoi vous payez.


Mon client suivant fut une cliente. Un tout petit bout de Japonaise, le style classique, toute lisse, toute fragile, genre poupée. Secouée par des sanglots à la couper en deux, pendant qu’un homme plus âgé, cheveux gris, complet-veston fatigué – sans doute son grand-père – essayait de la consoler. Pleurer en public est un bon indice de problèmes avec les Entités. « Peut-être puis-je vous aider », j’ai dit, et ils étaient tous deux si désemparés qu’ils ne se sont même pas donné la peine d’être soupçonneux.

L’homme était son beau-père, pas son grand-père. Le mari était mort, tué par des cambrioleurs l’année précédente. Il y avait deux gosses en bas âge. Elle venait de recevoir l’avis de sa nouvelle taxe de travail. Elle avait eu peur qu’on ne l’envoie travailler au mur, ce qui avait bien sûr peu de chance de se produire : les affectations se font un peu au hasard, mais elles ne sont généralement pas absurdes, et de quelle utilité pouvait être une fille de quarante-cinq kilos pour traîner des blocs de pierre ? Le beau-père avait des amis dans le coup, et ils avaient réussi à percer le code dissimulé sur son avis. Les ordinateurs ne l’avaient pas envoyée au mur, non. Ils l’avaient envoyée à Zone Cinq. Et ils l’avaient classée T.D.R.

« Mieux aurait valu le mur, a dit le vieil homme. Ils auraient tout de suite vu qu’elle n’était pas faite pour le travail de force et ils lui auraient trouvé quelque chose d’autre, quelque chose dans ses cordes. Mais Zone Cinq ? Qui en revient jamais ?

— Vous savez ce que c’est, cette Zone Cinq ?

— L’endroit où ils font des expériences médicales. Et ce sigle-là, T.D.R., je sais ce qu’il signifie aussi. »

Elle s’est remise à bramer. Je ne pouvais pas lui en vouloir, T.D.R. signifie Tests de Résistance. Les Entités veulent savoir de quelle quantité de travail nous sommes capables, et elles estiment que le seul moyen fiable d’y arriver est de nous faire passer des tests pour situer nos limites physiques.

« Je vais mourir, a-t-elle pleurniché. Mes bébés ! Mes bébés !

— Vous savez ce qu’est un rémissionnaire ? » j’ai demandé au beau-père.

Réaction immédiate : brève inspiration, yeux soudain brillants, vigoureux hochement de tête. Et retombée tout aussi rapide de l’excitation pour céder la place à un morne désespoir, à un sentiment de totale impuissance.

« Tous des filous, a-t-il laissé tomber.

— Pas tous.

— Qui peut le dire ? Ils vous prennent votre argent sans rien vous donner en échange…

— Vous savez que ce n’est pas vrai. Tout le monde peut vous raconter des histoires de rémissions qui ont abouti.

— Possible. Possible », a fait le vieil homme. La jeune femme sanglotait doucement. « Vous connaissez une telle personne ?

— Pour trois mille dollars, je peux enlever le T.D.R. de son avis. Pour cinq, je peux rédiger une exemption de service valable jusqu’à ce que ses enfants soient en âge d’entrer à l’Université. »

Mon côté sentimental. Cinquante pour cent de remise, sans même avoir procédé à une vérification de solvabilité. À vue de pays le beau-père était plein aux as. Mais non, il se serait démené pour lui obtenir une rémission, au lieu de traîner comme ça à Pershing Square.

Il m’a jaugé du regard. Longuement. Un rien de roublardise paysanne se réveillait en lui.

« Comment pouvons-nous en être sûrs ? »

J’aurais pu lui raconter que j’étais le roi de ma profession, le meilleur de tous les rémissionnaires, un bidouilleur de génie, un magicien qui pouvait se glisser dans n’importe quel ordinateur pour le faire danser sur ma musique. Ce qui n’aurait été que la vérité. Mais je me suis contenté de dire que c’était à lui de décider, que je ne pouvais offrir ni garanties ni déclarations sous serment, que j’étais disponible s’il voulait m’employer et que c’était pour moi du pareil au même si sa belle-fille préférait rester avec son avis marqué T.D.R. Ils se sont éloignés et entretenus deux ou trois minutes. Quand ils sont revenus, il a retroussé sa manche en silence et m’a présenté son implant. J’ai vérifié son solde créditeur : dans les trente mille, pas mal. J’en ai transféré huit sur mes comptes, la moitié à Seattle, le reste à Los Angeles.

Puis j’ai pris le poignet de la jeune dame, qui avait à peu près l’épaisseur de deux de mes doigts, me suis introduit dans son implant et lui ai rédigé la rémission qui lui sauvait la vie. Juste pour être sûr, j’ai procédé à une double vérification de validation. Il est toujours possible d’estamper involontairement un client, bien que ce ne me soit jamais arrivé. Mais je ne voulais pas inaugurer ça sur ce coup-là.

« Allez, j’ai dit. Rentrez chez vous. Vos gosses attendent leur déjeuner. »

Ses yeux se sont allumés. « Si je pouvais vous remercier d’une façon ou d’une autre…

— J’ai déjà pris mes honoraires. Allez. Si jamais vous me revoyez, inutile de me saluer.

— Ça va marcher ? a demandé le vieil homme.

— Vous dites que vous avez des amis dans la partie. Attendez sept jours et dites alors à la banque de données qu’elle a perdu son avis. Quand vous aurez le nouveau, demandez à vos copains de vous le décoder. Vous verrez. Il sera impeccable. »

Je ne pense pas qu’il m’ait cru. Je crois qu’il était plus qu’à moitié sûr que je l’avais escroqué d’un quart de ses économies, et je pouvais voir la haine dans ses yeux. Mais c’était son problème. Dans une semaine il verrait que j’avais vraiment sauvé la vie de sa belle-fille, et il se précipiterait vers le Square pour me dire à quel point il était désolé d’avoir eu de si mauvaises pensées à mon égard. Sauf qu’à ce moment-là je serais ailleurs, loin d’ici.

Ils ont quitté le parc par le côté est en traînant les pieds, s’arrêtant deux ou trois fois pour regarder par-dessus leur épaule comme s’ils pensaient que j’allais les transformer en statues de sel dès qu’ils auraient le dos tourné. Puis ils ont disparu.

J’avais désormais gagné assez pour tenir durant la semaine que je comptais passer à L.A. Mais je suis resté encore un peu, dans l’espoir d’un petit supplément. Pour mon malheur.

Celui-ci était le parfait Homme invisible, le genre de type que l’on ne remarque jamais dans une foule, gris sur gris, le cheveu rare, le sourire affable de quelqu’un qui a toujours l’air de s’excuser. Mais il y avait une vague lueur dans son regard. Je ne me souviens plus si c’est lui qui m’a parlé le premier, ou moi qui ai entamé la conversation, mais nous nous sommes assez rapidement retrouvés en train de manœuvrer pour essayer de découvrir des choses l’un sur l’autre. Il m’a raconté qu’il était de Silver Lake. Je l’ai regardé d’un œil rond. Comment diable étais-je censé connaître les millions de patelins de la région de L.A. ? Il a dit qu’il était venu ici pour voir quelqu’un au grand Q.G. du gouvernement sur Figueroa Street. Très bien : sans doute une réclamation à faire. J’ai senti le client en puissance.

Puis il a voulu savoir d’où j’étais originaire. Santa Monica ? L.A. Ouest ? Quelque chose dans mon accent, je suppose. « Je passe mon temps à me déplacer, j’ai dit. J’ai horreur de rester toujours au même endroit. » Ce qui est la pure vérité. Il faut que je bosse ou je deviens fou ; et me livrer à des bidouillages dans une seule ville reviendrait pratiquement à supplier les autres de se lancer à ma recherche ; ce serait la fin. Mais je ne lui ai rien dit de tout ça. « Je suis arrivé de l’Utah hier soir. Avant j’étais dans le Wyoming. » Mensonge dans les deux cas. « Ensuite… peut-être New York. » Il m’a regardé comme si je lui avais dit que je m’apprêtai à partir pour la Lune. Les gens d’ici ne vont guère dans l’Est. Aujourd’hui la plupart des gens ne vont nulle part.

À présent il savait que j’avais un passe-muraille, ou un moyen de m’en procurer un quand je voulais. C’était précisément ce qu’il recherchait. En un rien de temps nous en venions à l’essentiel.

Il m’a expliqué qu’il avait reçu un nouvel avis, six ans à l’assèchement des salants aux environs de Mono Lake. Les gens tombent comme des mouches là-bas. Tout ce qu’il voulait, c’était une affectation à quelque chose de moins pénible, genre Service d’entretien, et il fallait que ce soit à l’intérieur des murs, de préférence dans un des districts voisins de l’océan, où l’air est frais et pur. Je lui ai indiqué un prix qu’il a accepté sans sourciller.

« Voyons votre poignet », j’ai dit.


Il a tendu sa main droite, paume en l’air. Son implant d’accès était une plaque jaune pâle, placée à l’endroit habituel mais plus ronde que le modèle courant et d’une texture légèrement plus lisse. Je n’ai vu là-dedans aucune signification particulière. Comme je l’avais déjà fait peut-être un millier de fois, j’ai posé mon bras sur le sien, poignet contre poignet, accès contre accès. Nos biordinateurs sont entrés en contact et j’ai tout de suite su que j’étais en fâcheuse posture.

Il y a maintenant quarante ou cinquante ans que les êtres humains portent des ordinateurs à base de biopuces dans leur corps – ça remonte en tout cas plus loin que l’invasion des Entités – mais c’est pour la plupart des gens quelque chose qui va de soi, comme la marque de vaccination sur leurs cuisses. Ils s’en servent aux fins pour lesquelles ils ont été prévus sans chercher à voir plus loin. Le biordinateur n’est pour eux qu’un banal ustensile, comme une pelle ou une fourchette. Il faut avoir une mentalité de bidouilleur pour vouloir transformer son biordinateur en quelque chose de plus. C’est pourquoi, lorsque les Entités sont arrivées, nous ont envahis et fait construire des murs autour de nos cités, la plupart des gens ont réagi comme des moutons ; ils se sont laissé parquer à l’intérieur et y sont poliment restés. Les seuls qui ont su garder leur liberté de mouvement – parce qu’ils savent manipuler les superstructures grâce auxquelles les Entités nous gouvernent – ce sont nous, les bidouilleurs. Et nous ne sommes pas nombreux. J’ai tout de suite senti que je venais de me brancher sur l’un d’eux.

Dès que nous avons été en contact, il s’est abattu sur moi comme un orage.

La force de son signal m’a indiqué que j’avais affaire à quelque chose de tout à fait particulier, et que j’avais été pigeonné. Il n’avait jamais essayé d’acheter une rémission. Ce qu’il cherchait, c’était un duel. Derrière le sourire affable se cachait Jo Les-Gros-Bras, prêt à montrer quelques-uns de ses tours au petit mec nouvellement arrivé en ville.

Aucun bidouilleur ne m’avait jamais fait mordre la poussière dans un affrontement de ce genre. Jamais. Je me suis senti désolé pour lui, mais modérément.

Il m’a balancé un tas de trucs, bizarroïdes mais faciles, juste histoire de découvrir mes paramètres. Je les ai attrapés, stockés, puis je lui ai opposé un barrage et je lui ai donné la réplique. À mon tour de le mettre à l’épreuve. Je voulais qu’il commence à voir avec qui il faisait l’imbécile. Mais juste au moment où j’ouvrais le feu il m’a opposé un barrage. Voilà qui était nouveau pour moi. Je l’ai regardé avec un certain respect.

En général tout bidouilleur, où que ce soit, reconnaîtra mon signal dans les trente premières secondes, et cela suffira à mettre fin à l’échange. Il saura que ce n’est pas la peine de continuer. Mais ou ce type n’était pas en mesure de m’identifier ou il s’en fichait complètement, et voilà qu’il revient à l’assaut avec son barrage. Stupéfiant. Pareil pour le truc qu’il m’a balancé ensuite.

Il s’est mis prestement au travail, essayant bel et bien de brouiller mon architecture. Des masses de trucs ont fondu sur moi dans la zone de concentration des mégabytes.

jglcntr. dblmrq, trchnt. dzrctr.

Je lui ai rendu la pareille, deux fois plus fort.

maxfrq. minpau. prltot. jglcntr.

Ça ne lui a strictement rien fait.

maxdz. prlchro. bred. trchnt.

frqrcp. écltint.

écltext.

prépcd.

persrst.

Match nul. Il continuait de sourire. Même pas une trace de sueur sur son front. Quelque chose d’inquiétant émanait de ce type, quelque chose de nouveau, d’étrange. C’est une espèce de borgmann, me suis-je soudain avisé. Il doit travailler pour les Entités, écumer la cité à la recherche d’indépendants dans mon genre. Tout bon qu’il était, et il ne l’était pas qu’un peu, je le méprisais. Un bidouilleur devenu un borgmann – c’était vraiment écœurant. J’avais envie de le court-circuiter. J’avais envie de le faire griller. Jamais de ma vie je n’avais autant détesté quelqu’un.

Je ne pouvais rien faire avec lui.

Je n’en revenais pas. J’étais le Roi des Données, j’étais le Prodige des Mégabytes. Toute ma vie j’avais flotté d’un bord à l’autre d’un monde enchaîné, crochetant chaque serrure que je rencontrais sur ma route. Et voilà que ce rien du tout m’entortillait dans un sac de nœuds. Pour chacun de mes assauts il avait une parade ; et ses contre-attaques devenaient de plus en plus bizarres. Il travaillait avec un algorithme que je n’avais jamais vu et que j’avais le plus grand mal à résoudre. Au bout d’un moment je n’arrivais même plus à comprendre ce qu’il me faisait, et encore moins ce que j’allais faire pour y mettre un terme. C’en était au point où j’arrivais à peine à assurer. Il me poussait inexorablement vers un accident de biogiciel.

« Qui êtes-vous ? » j’ai hurlé.

Il m’a ri au nez.

Et a continué son pilonnage. Il menaçait l’intégrité de mon implant, m’attaquant au niveau microscopique, s’en prenant aux molécules elles-mêmes. Taquinant les cosses d’électrons, inversant les charges et semant la pagaille dans les valences, obstruant mes portes, transformant mes circuits en bouillie. L’ordinateur qui est implanté dans mon cerveau n’est rien de plus qu’un tas de chimie organique, après tout. Mon cerveau de même. S’il continuait ainsi l’ordinateur allait céder, le cerveau à sa suite, et j’étais bon pour passer le restant de ma vie à me baver dessus.

Ce n’était plus un match. C’était du meurtre.

J’ai puisé dans mes réserves, dressant tous les blocages que je pouvais inventer. Des choses dont je n’avais jamais eu à me servir de ma vie, mais qui se trouvaient là à ma disposition. Ça l’a un peu ralenti.

Pendant un moment je suis arrivé à bloquer son attaque dévastatrice et même à la repousser. Ce qui m’a donné le répit nécessaire pour lui concocter quelques combinaisons offensives de mon cru. Mais avant que j’aie pu les mettre en route, il m’a de nouveau coupé le sifflet et s’est remis à me massacrer. Il était incroyable.

Je l’ai bloqué. Il est revenu à la charge. J’ai frappé un grand coup, mais il a fait absorber l’impact par un autre canal neural, annulant tout son effet.

Je lui expédie un nouveau coup. Et lui de le bloquer une fois de plus.

Puis il m’a frappé. Le choc m’a fait vaciller et je n’ai réussi à me reprendre qu’à deux ou trois nanosecondes du précipice.

Je me suis employé à mettre au point une nouvelle combinaison. Mais, tout en m’y consacrant, je lisais la tonalité de ses données et ce que je captais s’appelait : confiance absolue. Il m’attendait tranquillement. Paré pour tout ce que je pourrais lui balancer. Il planait au-delà de la simple confiance en soi, dans le royaume de la certitude.

On en arrivait à ceci. J’étais capable de l’empêcher de me bousiller, mais tout juste, et j’étais incapable de lui faire tâter de mes gants. Et il semblait avoir des ressources infinies derrière lui. Je ne l’inquiétais pas le moins du monde. Il était infatigable. Il paraissait toujours en pleine possession de ses moyens. Il encaissait tout ce que je pouvais donner et continuait de me bombarder de nouveaux trucs, m’attaquant de six côtés à la fois.

Pour la première fois, je comprenais ce qu’avaient dû éprouver tous les bidouilleurs dont j’avais triomphé. Certains devaient se sentir très sûrs d’eux, je suppose, avant de tomber sur moi. Il en coûte davantage de perdre quand on se croit bon. Quand on se sait bon. Quand on est comme ça et que l’on perd, on est amené à reprogrammer entièrement le type de relation que l’on entretient avec l’univers.

J’avais le choix entre deux attitudes. Je pouvais continuer à me battre jusqu’à épuisement et effondrement. Ou je pouvais me rendre tout de suite. Tout finit par aboutir à une alternative du genre oui ou non, ouvert ou fermé, un ou zéro, n’est-ce pas ?

J’ai inspiré à fond. J’avais les yeux fixés en plein sur le chaos.

« Très bien, j’ai dit. Je m’avoue battu. J’abandonne. »

J’ai détaché mon poignet du sien, secoué de tremblements, les jambes flageolantes, et je suis allé au tapis.

Une minute plus tard, cinq flics m’ont sauté dessus, troussé comme une dinde et emmené, mon bras implanté pointant hors du paquet et un bracelet de sécurité m’enserrant le poignet, comme s’ils craignaient que je me mette à pomper des données dans le vide.


Ils m’ont dirigé sur Figueroa Street, sur les quatre-vingt-dix étages du grand bâtiment de marbre noir qui abrite l’administration fantoche de la cité. Je m’en fichais éperdument. J’étais tout engourdi. Ils auraient pu me balancer à l’égout, je ne m’en serais pas soucié. Je n’avais pas subi de dommages – le contrôleur automatique de circuit fonctionnait toujours et affichait un vert bon teint – mais l’humiliation était telle que je me sentais laminé. Anéanti. La seule chose que je voulais savoir était le nom du bidouilleur qui m’avait fait ça.

L’immeuble de Figueroa Street a partout des plafonds de plus de six mètres de haut de façon que les Entités puissent se déplacer à l’aise. Dans ces vastes espaces vides les voix résonnent comme dans une caverne. Les flics m’ont fait asseoir dans un couloir, toujours empaqueté, et m’ont gardé là un bon moment. Des bruits vagues clapotaient dans le passage. J’aurais voulu m’en protéger. J’avais le cerveau à vif. J’avais essuyé un pilonnage de première.

De temps en temps, de monumentales Entités déboulaient dans le couloir par groupes de deux ou trois, marchant sur le bout de leurs tentacules avec cette délicatesse empreinte de bizarrerie qui les caractérisait. Elles étaient accompagnées d’un petit entourage d’humains qu’elles ignoraient complètement, selon leur habitude. Elles savent que nous sommes des êtres intelligents mais elles ne daignent pas nous parler. Elles laissent ce soin à leurs ordinateurs, via l’interface de Borgmann, que son signal se déglingue à tout jamais pour nous avoir livrés. Non que les Entités ne nous auraient conquis de toute façon, mais Borgmann leur a permis de nous marcher sur les pieds beaucoup plus facilement en leur montrant comment connecter nos petits biordinateurs à leurs énormes systèmes centraux. Je parierais même qu’il était très fier de lui ; monsieur voulait simplement voir si son gadget marchait, et tant pis s’il nous réduisait ainsi en esclavage.

Personne n’est jamais arrivé à comprendre pourquoi les Entités sont là ni ce qu’elles veulent de nous. Elles sont venues, point. Ont vu. Ont vaincu. Nous ont réorganisés. Nous ont attelés à des tâches aussi épouvantables qu’insondables. Comme dans un mauvais rêve.

Et il n’y avait aucun moyen de nous défendre contre elles. Telle n’était pas notre impression au début – nous étions sûrs que nous allions leur faire une guérilla d’enfer et les anéantir – mais nous avons rapidement appris à quel point nous nous trompions, et nous leur appartenons pour de bon. Plus personne ne jouit de quoi que ce soit qui ressemble à la liberté à l’exception d’une poignée de bidouilleurs dans mon genre ; et, comme je l’ai expliqué, nous ne sommes pas assez fous pour nous lancer dans la moindre tentative sérieuse de contre-attaque. C’est pour nous une assez grande victoire d’être en mesure de sauter d’une cité à une autre sans avoir à se procurer une autorisation.

Tout ça semblait fini pour moi, à présent. Sur le moment je m’en fichais. J’étais encore occupé à essayer de digérer ma défaite ; je n’avais plus la moindre chance de travailler sur un programme dans la nouvelle vie qui m’attendait.

« C’est lui le rémissionnaire, là-bas ? a demandé quelqu’un.

— C’est lui, oui.

— Elle veut le voir tout de suite.

— Tu penses pas qu’on devrait d’abord l’arranger un peu ?

— Elle a dit tout de suite. »

Une main sur mon épaule ; on me secoue sans brutalité. « Debout, mon gars. C’est le moment de faire causette. Fais pas le mariolle ou tu sentiras ta douleur. »

Je me suis laissé conduire le long du couloir jusqu’à une gigantesque porte, puis dans un immense bureau assez haut de plafond pour qu’une Entité y ait tous ses aises. Je n’ai pas dit un mot. Il n’y avait pas d’Entités dans la pièce, seulement une femme vêtue d’une longue robe noire, assise derrière un vaste bureau tout au fond. On aurait dit un bureau miniature dans cette salle colossale. Un bureau miniature occupé par une femme miniature. Les flics m’ont laissé seul avec elle. Saucissonné comme je l’étais, je n’offrais aucun risque.

« Vous vous appelez John Doe ? » demanda-t-elle.

J’étais au beau milieu de la pièce, en train de contempler mes souliers. « À votre avis ? j’ai répondu.

— C’est le nom que vous avez donné lorsque vous êtes entré dans la cité.

— Je donne des tas de noms. John Smith, Richard Roe, Joe Blow. Pour le logiciel de l’entrée, peu importe le nom que je donne.

— Parce que vous avez mystifié la porte ? » Elle a marqué un temps. « Il faut que je vous dise que ceci est une commission d’enquête.

— Vous savez déjà tout ce que je pourrais vous dire. Votre borgmann a eu tout loisir de se balader dans mon cerveau.

— Je vous en prie. Ce sera plus facile si vous coopérez. Vous êtes accusé d’entrée illégale, d’usage illégal d’un véhicule, d’interfacement illégal consistant, en particulier, à vendre des rémissions. Avez-vous une déclaration à faire ?

— Non.

— Vous niez être un rémissionnaire ?

— Je ne nie rien, je n’affiche rien. À quoi bon, foutredieu ?

— Regardez-moi.

— C’est un gros effort que vous me demandez là.

— Regardez-moi. » Il y avait une curieuse intonation dans sa voix. « Que vous soyez un rémissionnaire ou non n’est pas le problème. Nous savons que vous êtes un rémissionnaire. Je sais que vous êtes un rémissionnaire. » Et elle m’a appelé par un nom que je n’avais pas utilisé depuis très longtemps. Pas depuis 36, pour être exact.

Je l’ai regardée. Étudiée. J’ai eu du mal à croire que je voyais ce que je voyais. Ai senti un flot de souvenirs remonter en moi. Procédé mentalement à un petit travail de montage sur son visage, ôtant quelques rides ici, éliminant un peu de chair là, en rajoutant un peu ailleurs. Effaçant les années.

« Oui, a-t-elle dit. Je suis celle à laquelle vous pensez. »

J’en ai eu le souffle coupé. C’était pire que ce que le bidouilleur m’avait fait. Mais il n’y avait aucun moyen d’y échapper.

« Vous travaillez pour eux ? j’ai demandé.

— La rémission que vous m’avez vendue ne valait rien. Vous le saviez, n’est-ce pas ? J’avais quelqu’un qui m’attendait à San Diego, mais quand j’ai essayé de franchir le mur je me suis fait cueillir comme une fleur et emmener malgré mes hurlements. Je vous aurais tué. J’aurais pu aller à San Diego et de là on aurait essayé d’aller jusqu’à Hawaii dans son bateau.

— Je n’étais pas au courant pour le type de San Diego.

— Pourquoi auriez-vous dû l’être ? Ce n’était pas votre problème. Vous avez pris mon argent, vous étiez censé me procurer ma rémission. Tel était le marché. »

Elle avait des yeux gris pailletés d’or. J’avais du mal à en soutenir l’éclat.

« Vous voulez toujours me tuer ? j’ai demandé. Avez-vous l’intention de me tuer à présent ?

— Non et non. » Elle m’a de nouveau appelé par mon ancien nom. « Je ne saurais vous dire mon étonnement quand on vous a amené ici. Un rémissionnaire, m’a-t-on dit. John Doe. Les rémissionnaires, c’est mon rayon. On me les amène tous. Il y a quelques années je me demandais si votre tour ne viendrait pas un jour, mais j’ai fini par me dire : Non, il n’y a aucune chance, il est probablement à un million de kilomètres d’ici, il ne reviendra jamais comme ça. Et voilà qu’on m’amène ce John Doe, et que je vois votre figure.

— Et si je vous disais que je n’ai cessé de me sentir coupable de ce que je vous ai fait, arriveriez-vous à me croire ? Vous n’êtes pas obligée de me croire. Mais c’est la vérité.

— Je suis sûre que cela a été pour vous une interminable torture.

— Je vous assure que je suis sincère. J’ai arnaqué un tas de gens, d’accord, et tantôt je l’ai regretté, tantôt non, mais vous faites partie des cas que j’ai regrettés. Vous êtes celui que j’ai le plus regretté. C’est la vérité pure. »

Elle a pesé mes paroles. Je ne saurais dire si elle m’a cru ne serait-ce qu’une fraction de seconde, mais j’ai bien vu qu’elle pesait mes paroles.

« Pourquoi avez-vous fait ça ? m’a-t-elle demandé au bout d’un instant.

— J’arnaque certaines personnes parce que je ne veux pas sembler trop infaillible, lui ai-je expliqué. Vous accordez une rémission de temps en temps, on se passe le mot, vous commencez à devenir légendaire. On finit par vous connaître un peu partout et tôt ou tard les Entités vous mettent le grappin dessus. C’est aussi simple que ça. Alors je m’arrange toujours pour arnaquer une partie de mon monde. Je dis aux gens : Je vais faire de mon mieux, mais c’est sans garantie et ça ne marche pas à tous les coups.

— Vous m’avez délibérément trompée.

— Oui.

— C’est bien ce que je pensais. Vous aviez l’air si calme, si professionnel. Si infaillible. J’étais sûre que la rémission serait valable. Je ne voyais pas comment ça pouvait rater. Alors j’ai pris la direction du mur et je me suis fait coincer. J’ai tout de suite pensé : Ce salaud m’a trahie. Il était trop fort, pas du genre à simplement se planter. » Sa voix était calme mais il y avait toujours de la colère dans ses yeux. « N’auriez-vous pas pu arnaquer la personne suivante ? Pourquoi a-t-il fallu que ce soit moi ? »

Je l’ai regardée un long moment.

« Parce que je vous aimais, j’ai dit.

— Foutaises. Vous ne me connaissiez même pas. Je n’étais qu’une étrangère qui avait loué vos services.

— Justement ! J’étais là, tout soudain en train de fantasmer comme un fou sur vous, prêt à mettre sens dessus dessous ma vie bien ordonnée, et tout ce que vous arriviez à voir, c’était quelqu’un dont vous aviez loué les services. Je n’étais pas au courant pour le type de San Diego. Tout ce que je savais, c’était que je vous voyais et que je vous voulais. Vous ne pensez pas que c’est de l’amour ? Eh bien, appelez ça autrement, comme vous voulez. Je ne m’étais jamais laissé aller à pareil sentiment. C’est bête, je pensais, ça compromet ta liberté, les risques sont trop grands. Puis je vous ai vue, je vous ai parlé un peu et j’ai pensé qu’il pouvait se passer quelque chose entre nous. Quelque chose s’est mis à changer en moi, et je me suis dit : Ouais, ouais, vas-y, laisse-toi aller pour une fois, ça te fera peut-être voir le monde autrement. Et vous étiez là sans rien voir, sans même commencer à remarquer quoi que ce soit, à me tenir d’interminables discours sur l’importance qu’avait pour vous cette rémission. Alors je vous ai arnaquée. Et j’ai pensé ensuite : Doux Jésus, j’ai ruiné la vie de cette fille simplement pour m’être fait piéger, ce qui est vraiment de la dernière mesquinerie. D’où mes remords. Vous n’êtes pas obligée de me croire. Je ne savais pas pour San Diego. Ce qui ne fait que rendre les choses encore plus difficiles pour moi. » Elle était restée sans rien dire durant tout mon discours, et le silence se fit énorme. Au bout d’un moment j’ai repris : « Dites-moi une chose au moins. Le type qui m’a démoli à Pershing Square, qui était-ce ?

— Ce n’était personne.

— Comment ça ?

— “Qui” n’est pas le bon terme. C’est un “que” qui s’impose ici. Il s’agit d’un androïde, d’une unité mobile antirémissionnaires, directement reliée au système central des Entités à Culver City. Quelque chose de nouveau que nous faisons circuler en ville.

— Ah ! j’ai fait. Ah !

— Il paraît que vous lui avez donné du fil à retordre.

— Il m’en a donné aussi. Failli me mettre le cerveau en compote.

— Vous en étiez à essayer de boire la mer avec une paille. Pendant un moment vous avez même donné l’impression que vous alliez y arriver. Vous êtes un sacré bidouilleur, savez-vous ?

— Pourquoi êtes-vous allée travailler pour les autres ? » j’ai enchaîné.

Elle a haussé les épaules. « Tout le monde travaille pour eux. Sauf les gens comme vous. Vous m’avez pris tout ce que j’avais sans me donner ma rémission. Qu’est-ce que j’étais donc censée faire ?

— Je vois.

— Ce n’est pas si terrible. Au moins je ne suis pas affectée au mur. Ou bonne pour les T.D.R.

— Non. Ce n’est probablement pas si terrible. Si ça ne vous fait rien de travailler dans une salle si haute de plafond. C’est ça qui m’attend ? Les T.D.R. ?

— Ne soyez pas stupide. Vous êtes trop précieux.

— Pour qui ?

— Le système nécessite toujours des améliorations. Vous le savez mieux que n’importe qui. Vous travaillerez pour nous.

— Vous pensez faire de moi un borgmann ? » J’étais stupéfait.

« C’est mieux que les T.D.R. »

Nouveau silence de ma part. Elle ne pouvait pas parler sérieusement, il faudrait qu’ils soient les derniers des idiots pour me confier le moindre poste comportant des responsabilités. Et de complets abrutis pour me laisser près de leur ordinateur.

« Très bien, ai-je fait. C’est d’accord. À une condition.

— Vous ne manquez pas de cran, hein ?

— Accordez-moi une revanche avec votre androïde. Il faut que je vérifie quelque chose. Ensuite nous pourrons discuter du genre de travail susceptible de me convenir le mieux chez vous. D’accord ?

— Vous savez que vous n’êtes pas en situation de poser des conditions.

— Et comment que j’y suis ! Ce que je fais avec les ordinateurs est un art unique. Vous ne pouvez pas me le faire exercer contre mon gré. Vous ne pouvez rien me faire faire contre mon gré. »

Elle s’est accordé un temps de réflexion. « À quoi bon une revanche ?

— Personne ne m’a jamais battu. Je veux une deuxième rencontre.

— Vous savez que ce sera pire qu’avant.

— Laissez-moi m’en assurer.

— Mais à quoi ça rime ?

— Amenez-moi votre androïde et je vous montrerai à quoi ça rime. »


Elle s’est laissé convaincre. Peut-être était-ce de la curiosité, peut-être autre chose, en tout cas elle s’est branchée sur le réseau informatique et, en un rien de temps, on a amené l’androïde que j’avais rencontré dans le parc, ou peut-être un autre ayant le même visage. Il m’a jeté un regard aimable, sans la moindre lueur d’intérêt.

Quelqu’un est venu enlever le bracelet de sécurité de mon poignet et s’est retiré. Elle a donné ses instructions à l’androïde, celui-ci m’a tendu son poignet et nous avons établi le contact. Et je suis aussitôt parti à l’attaque.

J’étais encore dolent, flageolant, passablement meurtri, mais je savais ce que j’avais à faire et je savais qu’il fallait être rapide sur le coup. Le truc était d’ignorer complètement l’androïde – ce n’était qu’un terminal, qu’une unité – et de foncer sur ce qu’il y avait derrière. J’ai donc contourné le programme propre à l’androïde, qui était astucieux mais superficiel. Je l’ai feinté alors que l’androïde était encore en train de préparer ses combinaisons ; j’ai plongé au-dessous, suis passé instantanément du niveau de l’unité à celui du corps principal et j’ai donné une chaleureuse poignée de main à l’ordinateur central de Culver City.

Dieu du ciel, ça faisait du bien !

Toute cette puissance, tous ces millions de mégabytes tapis là comme autant de squatters, et j’étais directement branché dessus. Bien sûr je me sentais comme une souris sur le dos d’un éléphant. Et c’était très bien ainsi. J’étais peut-être une souris mais cette souris était en train de se payer une balade de première. Je me suis cramponné et me suis élancé sur les ouragans de cette colossale machine.

Et tout en filant, j’en arrachais des morceaux à pleines mains et les jetais au vent.

Le mastodonte n’a rien remarqué pendant un bon dixième de seconde. Ce qui en disait long sur sa taille. J’étais là, en train de lui sortir des paquets de données du ventre, m’en donnant à cœur joie dans l’étripage et le saccage. Et il ne s’en rendait même pas compte, parce que même le plus magnifique des ordinateurs jamais assemblé reste soumis à la vitesse de la lumière, et que, lorsque vous ne pouvez pas aller à plus de trois cents mille kilomètres à la seconde, un certain temps est nécessaire pour que l’alarme soit donnée tout le long de vos conduits nerveux. Ce machin était énorme. Une souris montée sur un éléphant, ai-je dit ? Une amibe sur le dos d’un brontosaure serait une meilleure image.

Dieu sait quels dégâts j’étais capable de faire. Mais naturellement le système d’alarme a fini par entrer en action. Des portes intérieures se sont brutalement fermées, toutes les zones sensibles se sont retrouvées condamnées et un simple haussement d’épaule a suffi à me chasser. Inutile de traîner dans le coin, à attendre d’être pris au piège. Je me suis retiré.

J’avais trouvé ce que j’avais besoin de savoir. Où se trouvaient les défenses, comment elles fonctionnaient. Cette fois-ci l’ordinateur m’avait expulsé, mais il ne serait pas en mesure de le faire la prochaine fois. Je pouvais y pénétrer quand je voulais et écrabouiller tout ce qui me plairait.

L’androïde s’est écroulé sur la moquette. Ce n’était plus qu’une coquille vide.

Des lumières clignotaient sur le mur du bureau.

Elle m’a regardé, saisie de panique. « Qu’est-ce que vous avez fait ?

— J’ai battu votre androïde. Ce n’était pas si difficile une fois pigé le truc.

— Vous avez endommagé l’ordinateur central.

— Pas vraiment. Pas beaucoup. Je ne lui ai fait qu’une petite chatouille. Ça l’a surpris de me voir débarquer dans ses quartiers, c’est tout.

— Je crois que vous l’avez bel et bien endommagé.

— Pourquoi voudrais-je faire ça ?

— La question devrait être : pourquoi vous ne l’avez pas déjà fait. Pourquoi vous n’êtes pas allé foutre le bordel dans leurs programmes.

— Vous pensez que je pourrais faire quelque chose de ce genre ? »

Elle m’a observé. « Je pense que c’est dans vos cordes, oui.

— Eh bien, peut-être que oui. Ou peut-être que non. Mais je ne suis pas homme à me mettre au service d’une cause. J’aime ma vie comme elle est. Un jour ici, un jour là, à faire ce qui me plaît. C’est une vie tranquille. Je ne déclenche pas de révolutions. Quand j’ai besoin d’arranger un coup, je l’arrange juste ce qu’il faut, pas davantage. Et les Entités ne savent même pas que j’existe. Si je leur plante un doigt dans l’œil, elles me le couperont. Voilà pourquoi je ne m’y suis pas risqué.

— Mais maintenant vous le pourriez. »

J’ai commencé à me sentir mal à l’aise. « Je ne vous suis pas », ai-je dit, même si j’avais conscience du contraire.

« Vous n’aimez pas le risque. Vous n’aimez pas vous faire remarquer. Mais si nous vous privons de votre liberté, si nous vous obligeons à rester à L.A. et vous mettons au travail, qu’auriez-vous à perdre, bon sang ? Vous vous infiltreriez tout de suite dans la bête. Vous vous livreriez à vos embrouilles, mais carrément. » Elle a marqué un temps. « Oui. Vous agiriez ainsi. Je le vois à présent. Je vois que vous avez cette capacité et que vous pourriez être mis dans une situation où vous désireriez y recourir. Et alors vous ficheriez tout en l’air pour nous tous, n’est-ce pas ?

— Quoi ?

— Vous régleriez leur compte aux Entités, sûr. Vous arrangeriez leur ordinateur de telle façon qu’elles seraient obligées de l’envoyer à la casse et de repartir de zéro. N’ai-je pas raison ? »

D’accord, elle m’avait percé à jour.

« Mais je ne vais pas vous donner cette chance. Je ne suis pas folle. Il n’y aura pas de révolution, je ne serai pas son héroïne et vous n’êtes pas de la race des héros. Je vous comprends à présent. Il n’est pas prudent de faire joujou avec vous. Parce que si quelqu’un s’y risquait, vous prendriez votre petite revanche sans vous préoccuper de ce qui risque d’en retomber sur la tête des autres. Vous pourriez ruiner leur ordinateur mais ils s’en prendraient alors à nous et nous rendraient les choses deux fois plus dures qu’elles ne le sont déjà, sans que cela vous tracasse. Nous souffririons tous sans que cela vous fasse ni chaud ni froid. Non. Ma vie n’est pas si pénible que j’aie besoin que vous me la mettiez sens dessus dessous. Vous m’avez déjà fait le coup une fois. Je n’ai pas envie de renouveler l’expérience. »

Elle m’a regardé sans ciller. Il m’a semblé qu’il n’y avait plus aucune colère en elle, rien que du mépris.

Au bout d’un instant elle a repris : « Pouvez-vous retourner là-bas et vous arranger pour effacer toute trace de votre arrestation ?

— Oui. Oui, je pourrais faire ça.

— Alors faites-le. Et disparaissez. Fichez le camp d’ici, vite.

— Vous parlez sérieusement ?

— Vous en doutez ? »

Je lui ai fait signe que non. Je comprenais. Et j’ai su que j’avais à la fois gagné et perdu.

Elle a eu un geste d’impatience, comme pour chasser une mouche.

J’ai hoché la tête. Je me sentais tout petit.

« Je veux juste vous dire… quand je vous parlais de mes regrets concernant ce que je vous ai fait autrefois… c’était vrai. De A à Z.

— Ça l’était probablement… Bon, faites votre truc, effacez-vous, et ensuite vous videz les lieux. Je ne veux plus vous voir ici. Ni en ville. D’accord ? Allez, faites vite. »

J’ai cherché quelque chose d’autre à dire mais rien ne m’est venu. Tire-toi tant qu’il en est encore temps, j’ai pensé. Elle m’a donné son poignet et je me suis interfacé avec elle. Au moment où mon implant d’accès a touché le sien elle a légèrement frissonné. Ce n’était qu’un tout petit frisson mais je l’ai remarqué. Je l’ai senti, c’est ça. Et je crois que désormais je le sentirai chaque fois que j’arnaquerai quelqu’un. Chaque fois que la seule idée d’arnaquer quelqu’un me viendra.

Je me suis infiltré, j’ai trouvé la mention de l’arrestation de John Doe et je l’ai fait disparaître. Puis j’ai cherché son dossier administratif à elle ; je lui ai octroyé deux échelons d’avancement et j’ai doublé son salaire. Ce n’était pas grand-chose comme réparation. Mais bon, je ne pouvais pas faire grand-chose. Puis j’ai effacé mes traces derrière moi et je suis sorti du programme.

« Voilà, j’ai dit. C’est fait.

— Parfait. » Et elle a sonné les flics.


Ils se sont excusés pour l’erreur d’identité, m’ont conduit hors du bâtiment et m’ont lâché sur Figueroa Street. L’après-midi touchait à sa fin ; la rue s’assombrissait et l’air était frais. Même à Los Angeles l’hiver reste l’hiver, d’une certaine manière. Je me suis dirigé vers un terminal public et j’ai appelé la Toshiba, où qu’elle soit allée se garer. Elle est arrivée cinq ou dix minutes plus tard et je lui ai dit de me conduire vers le nord. On se traînait un peu, l’heure de pointe, mais ça allait comme ça. Nous avons atteint le mur à la porte de Sylmar, à quelque quatre-vingts kilomètres du centre-ville. La porte m’a demandé mon nom. « Richard Roe, j’ai dit. Bêta Pi Epsilon 104324x. Destination : San Francisco. »

L’hiver est pluvieux à San Francisco. Mais c’est une jolie ville. J’aurais préféré Los Angeles à cette époque de l’année, mais que voulez-vous, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. La porte s’est ouverte et la Toshiba l’a franchie. Simple comme Bêta Pi.


Titre original :

The Pardoner’s Tale

paru dans Playboy,

juin 1987

Загрузка...